samedi 24 mai 2014

CARMEN ALT-CHAPLIN, ESPIÈGLE DÉSENCHANTÉE !!!

© Carmen Alt-Chaplin
Il est permis aux amateurs d'Art Photographique de découvrir des perles au hasard d'un conseil ou d'une errance virtuelle, au milieu de la profusion anarchique d'images d'internet. Ainsi suis-je tombé avec ravissement sur le travail qu'offre sur le site tumblr la photographe londonienne mais d'origine allemande Carmen Alt-Chaplin : http://carmenalt.tumblr.com
Si le talent d'un photographe consiste à nous "bloquer" sur sa photo pour nous amener ensuite à la fouiller pour en dégager toute la saveur, on peut avancer que Carmen Alt-Chaplin réussit parfaitement et à chaque fois ces deux étapes indispensables à la rencontre avec une œuvre.
Elle y parvient tout d'abord, et le plus souvent, par la rigoureuse géométrie de son cadrage et la parfaite maîtrise du noir et blanc. Pureté formelle qui s'impose au regard et l'invite à s'attarder, pénétrer avec plaisir le mystère des détails qui se cachent dans l'image et qui vont nous en indiquer le sens pour une interprétation ouverte, car il n'apparaît pas dans les intentions de cette photographe originale d'imposer la moindre lecture à son spectateur. C'est une forme émouvante de pudeur, une retenue toute féminine et anglaise qui transparaît à qui voit les photos les unes après les autres, une profondeur de regard qui se conjugue dans la forme à la profondeur de champ, aux perspectives axiales qui composent souvent ces œuvres.
Le terrain de chasse de cette artiste se trouve essentiellement dans les lieux de transit, les endroits qui en milieu urbain, permettent aux individus de se rendre d'un point à un autre. Les couloirs de métro, escalators, trottoirs, bords de fleuve.
© Carmen Alt-Chaplin
Ce sont de frêles silhouettes en mouvement souvent lointaines, parfois floues, qui semblent représenter ici une humanité presque désincarnée dans un moment de "flottement" de l'existence où l'émotion est tenue à distance, dans un entre-deux où seule s'impose l'idée d'aller d'un point à l'autre. D'où viennent ces petits personnages et où vont-ils, est-ce qu'un "discours" semble avoir été inscrit par la photographe pour nous guider vers un sens ? Ce n'est pas sûr même si l'emploi de quelques titres comme "going home" peuvent parfois donner une indication. Mais le titrage n'apparaît pas comme un élément important pour cette photographe qui n'hésite pas à accompagner ses photos d'un simple "untitled". Les individus sont figés dans un instant où la foule qui habituellement remplit les lieux, et à laquelle ils sont destinés, a totalement disparu comme si la ville s'était étrangement vidée. Mais par la répétition des situations, l'empilement de ces solitudes, c'est aussi une nette impression d'inquiétude qui nous saisit, comme si les hommes à force d'organisation avaient fini par s'enterrer dans leur propres constructions et s'étaient condamnés à une errance injustifiée et souterraine. Photographe de la profondeur, Carmen Alt-Chaplin est une photographe de l'underground, de la solitude, et de l'absurde. Du reste, lorsqu'il arrive à Carmen de photographier "à l'air libre" c'est parfois pour nous montrer des chantiers, des constructions qui se rajoutent à d'autres, destinées à générer de nouvelles solitudes et poursuivre une incompréhensible œuvre d'isolement, d'enfouissement des corps, de balisage des trajets. Depuis quelque temps, comme pour me démentir, on trouve plus de photos prises "en surface" qui n'entrent malgré tout pas en contradiction avec le fond de ce qui est énoncé plus haut. On continue de voir des gens qui passent ou qui attendent et auxquels seuls les murs, il faut être curieux de ce que représentent les affiches pour remarquer le côté espiègle de Carmen, semblent parler quand ils ne donnent pas l'impression de les avoir carrément aspirés. Quand il arrive que plusieurs personnages se trouvent dans le cadre, trois au maximum, et une seule fois, juste sur celle-là, deux s'embrassent sous le regard incrédule du troisième, ils ne communiquent pas entre eux, comme si les mystérieux commandements qui les fait agir et les lieux leur interdisaient le moindre échange. C'est aussi une œuvre qui parle de "l'incommunication".
© Carmen Alt-Chaplin
© Carmen Alt-Chaplin









Bref, il faut absolument se rendre sur le blog de Carmen Alt-Chaplin pour découvrir la subtile et mystérieuse fantaisie mélangé au doux désenchantement post-moderne qui s'exprime dans cette œuvre singulière, sous l'austère rigueur des cadrages qu'elle nous propose.

© Carmen Alt-Chaplin