lundi 12 décembre 2016

VIVEMENT MARSEILLONS 3 !!!




Le spectacle Marseillons 2 s'est donc achevé dimanche avec sa troisième et dernière représentation, celle-ci en après-midi afin de donner la possibilité de le voir à ceux qui ne peuvent, ou n'osent pas sortir le soir sur La Canebière. Les personnes bien informées sur son contenu, les spectateurs du premier Marseillons, du 31 janvier 2015, comme ceux qui avaient suivi les différents reportages et teasers publiés sur sa page facebook, auront trouvé sans aucun doute ce qu'ils étaient venus chercher, surtout une occasion de se rassembler autour d'une troupe joyeuse, enthousiaste mais éphémère, montée pour l'occasion par le comédien Cyril Lecomte autour de Marseille et de l'écriture d'Henri-Frédéric Blanc. Pour éviter tout hiatus entre la forme de ce spectacle et ce que certains pouvaient en attendre au regard de la promo, la présence de Titoff, mais surtout d'une idée très personnelle qu'ils pouvaient s'en faire, il aurait fallu noter auparavant une différence essentielle : Henri-Frédéric Blanc n'est pas un humoriste, une de ces usines à vannes bien calibrées à laquelle s'abreuvent ceux qui font le difficile exercice de cette noble profession. Henri-Frédéric Blanc est avant tout un écrivain qui a l'art de faire franchement rire mais de manière grinçante et poétique avec ses rebellions et ses constats cinglants sur nos sociétés. D'où il était perceptible que certains spectateurs ne parvenaient parfois pas vraiment à se situer dans la manière de recevoir les différents personnages qui se succédaient sur la scène, ceux qui pensaient assister à un festival d'humour, ou à une pièce de boulevard bien huilée en étaient pour leurs frais et certains, une minorité, manifestaient parfois à l'entracte une forme de désillusion. C'était d'autant plus dommage que le spectacle était vraiment réussi si l'on se réfère au peu de temps sur lequel il a été travaillé et répété, en raison du nombre important de comédiens et musiciens sur la scène de l'Odéon, ce qui pouvait donner l'impression d'un beau bordel organisé. Le décor, un plan incliné avec des cases colorées jusqu'à mi-scène, sur la gauche une mezzanine, sur la droite une mini plateforme. Un personnage que s'était réservé Cyril Lecomte, revêtu d'une redingote rouge, un monsieur Loyal muet qui amenait la plupart des personnages sur scène et les raccompagnait à leur sortie, tout à la fois silhouette tutélaire et gardien fantastique d'un musée baroque, faisait avec élégance, concentration et compassion le lien silencieux entre les séquences. De toute cette galerie de créatures bizarres qui se succédèrent nous ne parlerons que de quelques-unes particulièrement marquantes, aussi bien en raison de la qualité de leur texte que de leur interprétation. Ainsi Armelle Deutsch sut composer des personnages très différents tout en restant à chaque fois juste, drôle et subtile, plongeant complètement dans leur délire sans jamais perdre le contrôle techniquement, ni dans la diction, ni dans son placement, ni dans la projection, grande comédienne. C'était le cas aussi de Marie Fabre, déjà fortement présente dans le premier Marseillons qui montra une grande intensité dans chacune de ses interventions, aussi bien en patronne de baraque à chichis qu'en cagole sur le retour en attente de l'homme de sa vie. Bob Assolen sut imposer sans effort apparent sa présence charismatique avec le même succès qu'au cinéma dans le film culte "Les collègues", c'était d'autant plus remarquable qu'il ne semble pas avoir pris particulièrement de cours de comédie. Richard Guedj proposa avec force et brio un désopilant personnage de pêcheur survolté, électrique, un choix réussi d'aller à l'encontre de l'image plutôt calme qu'on peut avoir d'un pêcheur quand il nous livre ses pensées profondes. La séquence courte d'un architecte aixois qui appelle sa mère avec le fameux accent jambon fût très réussie par Cyril Lecomte, même si personnellement je fus gêné dans son cours par des spectateurs qui regagnèrent tardivement leurs sièges après l'entracte. Mais le plus remarquable fût Titoff dans deux prestations très cadrées en début et en fin de spectacle. Titoff qui sut mettre au service de ses personnages un art très consommé de la scène, une grande capacité à tout à la fois dominer son texte et en même temps tisser un lien invisible avec chaque spectateur, toujours dans le rythme, improvisant de manière juste quand il le fallait, c'était intense, hilarant, touchant. Titoff est un comédien d'une grande épaisseur qui mérite beaucoup mieux que les rôles de faire-valoir qu'il multiplie, il faut bien "manger", dans les shows télévisés. Les réalisateurs seraient bien inspirés d'essayer d'exploiter au cinéma son ambiguïté, cette gravité touchante sous sa drôlerie. Je préciserai pour finir que j'ai vu le spectacle le samedi soir pour le cas où des lecteurs ne reconnaîtraient pas vraiment ce qu'ils ont vu au travers de mes propos, car il semble qu'il y ait eu des inversions d'interprétations selon les jours. Bref, Marseillons 2 fût abouti au point que nous devons faire savoir à Cyril Lecomte qu'il est dans le vrai, que ce mélange des genres, comédie, musique, je n'ai pas parlé des musiciens, mais c'était magique de voir arriver deux complices du Massilia Sound System, Papet J et Gari Greù, mais aussi Levon Minassian et son doukdouk dont les sonorités semblent venir du plus profond de l'humanité, David Walters émouvant dans un jeu de percus autour du mot Marseille, troublants les aigus d'Atef qui avait écrit lui aussi pour l'occasion une chanson sur la ville. Oui, Cyril Lecomte est dans le vrai quand il rassemble autour de lui pour nous donner un show original. Ce que nous avons vu ne ressemble à rien de ce qui peut se faire traditionnellement, ou alors c'était il y a longtemps, car c'est une forme qui réunit des éléments hétéroclites en apparence qui composent à la fin une belle mosaïque parfaitement dans l'esprit de notre ville. Il reste à souhaiter qu'une plus grande pédagogie soit employée avant le Marseillons 3 pour expliquer précisément aux spectateurs ce qu'ils viendront y voir. Par exemple, éditer un programme qui serait distribué a l'entrée de la salle, comme cela se fait à l'Opéra, donnerait clairement à chacun ce qu'il serait appelé à voir. Je ne suis pas sûr, par exemple, que tout le monde dans la salle savait quel musicien extraordinaire est Levon Minassian. C'est dommage. Un petit déroulé du spectacle, quelques notes biographiques sur les artistes, seraient les bienvenus. En attendant, bravo à tous, good job et vivement Marseillons 3.

mardi 22 novembre 2016

LES BOUCHES D'OR, Henri-Frédéric BLANC


À première vue Les Bouches d'Or est un livre drôle destiné à fonder un spectacle de comédie. Les personnages et les situations ciselées par Henri-Frédéric Blanc y suscitent toutes un rire sans réserve, franc et régénérant. On rit à sa lecture comme on rira assurément les 9, 10, 11 décembre à l'Odéon pour Marseillons 2, la représentation pour laquelle il a été écrit. Comme toute grande œuvre, on peut le lire avant sans craindre de déflorer la cocasserie de chaque pièce, on le lira aussi après pour conserver longtemps encore la trace du bonheur que déposeront les acteurs dans l'esprit de ceux qui auront eu la bonne idée de prendre leur billet. Mais sous le comique qui recouvre pudiquement le tout, un comique réel, certes, il ne s'agit pas d'une simple couche de vernis, ceux qui connaissent l'univers singulier de l'auteur marseillais savent qu'il y a quelque chose de plus touchant, pathétique. Celui qui ne verrait que le rire se tromperait lourdement. Toute la force des livres d'Henri-Frédéric Blanc réside dans cette forte ambiguïté, cet équilibre parfait entre la comédie et la tragédie qui caractérise aussi Marseille, ville incroyablement difficile à cerner dans sa vérité profonde. Sans aller jusqu'à dire que les personnages qui apparaissent et disparaissent dans Les Bouches d'Or montrent en creux un portrait de l'une des grandes villes de France les plus pauvres, ils en expriment l'essence de manière subtile, sa force et sa légèreté, son dédain, son panache, sa folie, son irrévérence. C'est donc avec jubilation, une fois encore, que les lecteurs feront connaissance avec ce petit monde qui fait entendre sa différence à la Terre entière, axe fort du travail d'Henri-Frédéric Blanc qui compose à partir des gens d'ici un discours à portée universelle. Ces personnages ont beau sortir de son imagination, chacun aura l'impression de reconnaître quelqu'un, le génie de Blanc est de faire apparaitre une douce et poétique lumière chez les obscurs, les sans-grade, le petit peuple de la rue qu'il observe et écoute toute la journée en se promenant, que dis-je, en se fondant dans les rues de la ville, sans rien leur enlever du dérisoire grandiose qu'ils semblent cultiver par défi. Ce livre donne l'impression d'être fait avec très peu de choses. La littérature de Blanc est sans effet ni artifice, une littérature marseillaise avec finalement très peu de ces mots que d'autres multiplient parfois pour insister lourdement sur l'aspect exotique du parler marseillais, comme s'il suffisait de les employer pour signaler une véritable particularité, le père de Frédo le Fada sait la plupart du temps s'affranchir de cette facilité. A côté des ouvrages déjà publiés aux éditions Le Fioupélan, Les mémoires d'un singe savant, Le livre de Jobi, Ainsi parlait Frédo le Fada et Cagole blues, ce nouveau livre de l'auteur marseillais apparaît comme un bijou supplémentaire qui s'ajoute dans le mouvement Overlittérature à une œuvre qui n'a pas d'équivalent en France. Il faut saluer avec affection la volonté de Cyril Lecomte, comédien, créateur du spectacle Marseillons pour lequel il fédère avec beaucoup d'énergie positive les talents originaires de la ville comme lui, de faire mieux connaître aux marseillais cette œuvre originale qui leur redonne le goût et la joie de leur propre sens de la farce. Car c'est un fait, merci à Henri-Frédéric Blanc de sauver la farce.

Les Bouches d'Or, Henri-Frédéric Blanc, Marseillons United éditions. 12€
Spectacle Marseillons 2, les 9,10, 11 décembre 2016 à l'Odéon (Canebière). Achat sur digitick.



lundi 31 octobre 2016

MARIA STUARDA, Opéra de MARSEILLE, 30 octobre 2016



Ce blog n'a pas d'autre justification que le plaisir que j'ai de mettre des mots sur certaines émotions, et si je les partage sans aucune pudeur parfois, c'est juste qu'il m'arrive de penser que mes billets, comme des bouteilles au cosmos, vont trouver des gens au bout d'une course incertaine dans l'infini virtuel qui seront heureux de les lire, la chose est arrivée quelques fois déjà, cela suffit à mon bonheur. À qui en douteraient, j'en connais, je réaffirme que l'intensité ressentie est bien plus dans l'écriture que dans une attente hypothétique que ces lignes soient lues par un très grand nombre, d'autant plus que je n'ignore pas que le temps de l'écrit, et surtout des blogs "texte", semble pour l'instant révolu, provisoirement j'ose l'espérer.
Je voudrais juste ici confier l'enchantement que nous avons vécu le dimanche 30 octobre à l'Opéra de Marseille pendant la représentation, en version concertante, de l'œuvre de Donizetti Maria Stuarda. Je ne suis aucunement qualifié pour parler d'opéra. Je ne fréquente ce lieu que depuis quelques années en autodidacte qui ne connaît pas la musique. Nous parlons ici d'un art d'une richesse infinie dont je suis loin de maîtriser tous les codes et dont j'écoute parler les spécialistes avec beaucoup d'humilité et de gratitude. Pourtant, il me semble bien qu'il s'est passé quelque chose de rare et précieux pendant ce spectacle pour lequel chacun des artistes distribués dans les six rôles que propose le livret a évolué au plus haut de ses possibilités techniques. Si l'histoire est simpliste, reposant sur la rivalité entre deux femmes amoureuses du même homme, Elizabeth reine d'Angleterre et Maria Stuarda reine d'Écosse, Donizetti qui exploite la veine romantique a placé dans cette oeuvre de hauts et périlleux moments de bravoure vocale qui vous décollent de votre fauteuil pour peu que votre audition n'ait à souffrir du moindre handicap. Nous avons eu la chance de découvrir à cette occasion, et pour la première fois à Marseille, la fougueuse mezzo-soprano espagnole Silvia Tro Santafé qui chantait le rôle de l'orgueilleuse et jalouse Elizabeth, elle a déboulé jusqu'en bord de scène comme une torera qui porterait tout l'orgueil de l'Espagne, nous toisant du regard comme pour nous dire "vous allez voir ce que vous allez voir", et qui dès les premières notes nous a littéralement électrisé les tripes. J'ai rarement entendu une chanteuse aussi applaudie à la fin de son premier morceau, j'ai rarement assisté à autant d'applaudissements au milieu et à la fin d'un premier acte. Annick Massis s'est posé dans un autre registre, plus doux, plus subtil, plus délicat, avec aussi toute la fermeté nécessaire au moment où les deux personnages s'affrontent. C'était extraordinaire, sublime, magnifique. Les scènes de chant à cinq, six voix, et choeurs, m'ont emporté vers des hauteurs où même la plus efficace des drogues ne m'élèvera jamais, ma douce épouse qui me tenait la main était elle aussi tout là-haut avec moi et nous partagions ce moment de grâce avec l'ensemble des spectateurs autour de nous, un de ces moments rares où vous avez l'impression que vous ne faites plus qu'un avec l'univers dans lequel vous vous déplacez comme transporté par les anges. C'est pendant les applaudissements à la toute fin du spectacle que je me suis rendu compte que je n'avais pas pris le temps de lire les sous-titres des paroles, que les sonorités avaient suffi à me remplir l'âme au point que l'intellect s'était retiré pour leur laisser toute la place. Mon Dieu, c'était tellement beau, et je n'ai rien d'autre à offrir ici que de vous faire entendre les applaudissements et le triomphe de la distribution où le ténor, la basse et le baryton eurent aussi leur part. C'est dérisoire, mais dans la mesure où je crains qu'aucun enregistrement n'ait été effectué, voilà bien les seules traces matérielles de notre plaisir. Merci de m'avoir lu. Essayez l'opéra si vous n'en avez jamais fait l'expérience.

vendredi 28 octobre 2016

MASSILIA SOUND SYSTEM LE FILM


POÉSIE, RYTHME, ET PARTAGE

Il se dégage une saine jubilation de la projection du nouveau film de Christian Philibert consacré au Massilia Sound System. Courrez-y pour voir sur écran géant ce groupe d'hommes à la fois lucides et déjantés qui inventent depuis trente ans une expérience artistique qui n'a guère d'équivalent dans le paysage musical français. Allez-y pour vous nourrir de cette énergie qui nait de leur contact avec leur public, de ce partage authentique de la fête dans la fusion dionysiaque des corps et des esprits contestataires. Le tour de force du fameux réalisateur des quatre saisons d'Espigoule, repose sur la fluidité qu'il a su donner au film en racontant tout à la fois l'histoire du groupe, mais aussi celui de chaque individu qui le compose, les projets parallèles qu'ils mènent séparément, le tout en échappant au didactisme qui menace toujours ce genre d'exercice si on se laisse aller à l'intention d'imposer un propos. Les séquences de concert, on stage ou backstage, les déplacements d'une tournée, alternent avec des archives, les témoignages face caméra où les visages des membres du groupe qui se détachent sur fonds noir (celui du deuil de l'un des membres disparus trop tôt mais si furieusement présent encore) apparaissent dans toute leur vérité, nous faisant toucher du doigt leur cohésion individuelle et collective. Les propos politiques, philosophiques, l'Occitanie, la conquête de la liberté, l'indépendance et la résistance à la centralité, au bizness de la musique ne sont jamais lourds. Ce sont des gens qui ne trichent pas avec leur public (à la base duquel se trouve la Chourmo), ni avec eux-mêmes, et tout le mérite de Philibert est de n'utiliser aucun artifice de narration, de se rendre tout à fait invisible, bornant ses interventions à des panneaux sobres qui annoncent le titre de quelques séquences. Sa caméra qu'il a su faire accepter à tous nous plonge au cœur de la matrice artistique du groupe et nous permet en même temps de la voir dans son ensemble avec le recul que les membres du groupe portent eux-mêmes et de façon amusée sur leur travail. On ne peut s'empêcher parfois de songer aux deux films de Jean-Luc Godard, One + One, avec les Rolling-Stones et Soigne ta droite avec les Rita Mitsouko, au point que ce n'est presque pas un hasard si on assiste au cours d'un magnifique concert aux Docks des Sud à Marseille à l'arrivée imprévue de Catherine Ringer sur scène, un des moments les plus drôles du film, il y en a beaucoup comme toujours dans les films de Philibert. Et puis enfin il y a Marseille, inévitable parce que c'est là que tout est né, dans le quartier populaire de la Plaine, une ville sans laquelle le groupe n'aurait jamais pu choper et cultiver sa singularité, sa fibre contestataire, sa furieuse dérision. Marseille qui semble leur avoir initié à ne jamais se prendre pour d'autres, à rester humbles et accessibles, Marseille où ils ont importé et recrée l'esprit du Reggae. La ville-monde qui possède en commun avec la Jamaïque le soleil, la mer et le vent, qui constituent le sel de la poésie, Marseille où ils forgent une oeuvre universelle, une ode au rire, au rythme et au partage. Viva les Massilia.

jeudi 13 octobre 2016

Putain qué bon, NAVEGA, le nouveau MOUSSU-T E LEI JOVENTS


Le nouvel album de Moussu-T et Lei Jovents est apparu dans les bacs il y a peu, les lignes qui suivent sont une invitation à se le procurer. On a toujours plaisir à se connecter à la musique folk-country-blues-rock-world-fusion (comment la qualifier exactement ?) du band de La Ciotat. Navega !, c'est son titre, présente une séquence de la vie du groupe où la douce nostalgie et la lucidité frôlent le désenchantement, sans y céder non plus, pas question de renoncer à la révolte (Qu'es bon), mais où le constat semble l'emporter sur le combat (Vaici Marselha, regard sans complaisance sur l'aménagement urbain marseillais, et aussi le touchant Aquo mi fa mau), l'énergie est canalisée vers l'intériorité. C'est un album plus intime et moins festif où la fantaisie et l'humour n'ont pas été invités, mais il vous caresse les oreilles de la même façon que les meilleurs morceaux du folk américain, un album pour entrer lentement dans les belles couleurs de l'automne provençal. De là à dire qu'il y aurait quelque chose de "fatigué" qui traverse les tracks il y a une frontière que nous ne franchirons pas. La force se fait sentir dans le bastingage musical du navire qui profite provisoirement du calme au mitan de la mar, une force prête à tous les combats, mais sensiblement contenue. Si le ton impératif du titre ordonne de prendre la mer, il s'adresse à ceux qui écoutent, à condition qu'ils enregistrent son double sens sous-marin. Moussu-T apparaît plutôt entre deux révoltes avec l'envie de rester calme au Port-Vieux, en contemplation entre "le vide et l'acier" des grues de La Ciotat. Je livre ici une impression d'ensemble très subjective qui pourrait facilement se voir prise en défaut mais n'hésitons pas à répéter, l'ensemble est loin d'être dépourvu d'énergie et n'engage pas aux ambiances feutrées des longues soirées d'hiver près de la cheminée. Il y a un ton serein et juste, parfaitement maîtrisé, harmonieux. On n'y trouve pas forcément un futur "tube", mais tous les titres en portent le potentiel, cela ne pose aucun problème, car c'est un album homogène, cohérent, abouti en quelque sorte, à l'image de ces marins parfaitement équilibrés entre deux désirs, celui d'une relation douce et apaisante telle qu'elle ressort dans Cosmopolida, magnifique hommage à la femme d'une vie, et le fantasme (cela pourrait être Louise B, ou qui que ce soit, peu importe) d'une relation ardente, intense et passionnée tel qu'il s'exprime avec Tretze nuechs ambé misé, un album semblable à ces marins ayant beaucoup navigué qui imposent leur calme aux terrasses de bistrots des ports du monde entier, prêts à tout moment à reprendre le large. Il est chargé d'une belle poésie, porteuse à elle seule de tous les désirs de voyage. Et comme la forme rejoint le fond, il faut souligner la qualité remarquable du livret qui accompagne le CD avec les tableaux de Blu Attard, le guitariste du groupe qui révèle ici des qualités graphiques originales au moins aussi importantes que ses qualités de musicien et compositeur. Un album précieux, une belle œuvre des attachants chanteurs navals de La Ciotat. D'ailleurs je vais m'empresser de tweeter : oh je viens d'acheter le nouveau Moussu-T, il est putain qué bon !

samedi 24 septembre 2016


LES COCHONKS


C'était hier au soir la première des Cochonks, une pièce d'Henri-Frédéric Blanc, montée par le Théâtre de l'Astromela et représentée au Théâtre du Lacydon.
Ce texte écrit en 2010 par l'auteur marseillais est une farce sombre qui "frotte" jusqu'au grincement non seulement avec les turpitudes de la nature humaine mais aussi, et plus que jamais, avec l'actualité. On a beau rire devant le ridicule assumé des personnages, à travers une mise en scène et un décor rappelant certaines images des créations télévisuelles de Jean-Christophe Averty, nous sommes plongés dans un royaume fantaisiste qui va "dégringolando", on peut tout aussi bien se trouver dans un hôpital psychiatrique ainsi que la tenue du Cochonk semble nous l'indiquer, il n'en demeure pas moins que le spectateur ne s'économisera pas l'angoisse d'imaginer qu'il n'existe finalement qu'un décalage infime avec la réalité du Pouvoir, la folie de ceux qui l'exercent, mais aussi de ceux qui acceptent de le subir. Folie de la conquête et de la déraison d'exister mais aussi folie de la peur de l'autre, mère de toutes les guerres. Toutes les obsessions de l'auteur que les fans d'Henri-Frédéric Blanc retrouveront avec ce ravissement que provoque la férocité d'un humour qui n'épargne personne. Courrez-y, la pièce se jouera encore ce dimanche 26 septembre à 15h et devrait tourner par la suite. C'est facile à trouver. Arrivé devant l'Intercontinental, l'ancien Hôtel-Dieu, vous prenez la petite ruelle qui monte à gauche longeant les grilles de l'établissement, et hop, c'est sur la gauche...
Cliquez sur la photo pour mieux voir les informations.

mardi 19 juillet 2016

IL SUFFISAIT DE REGARDER LA MER...


"J'aime la mer, comme une femme..." chantait Alibert dans ces années heureuses où nos parents pensaient  que les plus grands périls étaient derrière eux pour très longtemps.
Pour ma part, j'aime la mer comme une mère car elle m'a nourri. Mon père gagnait sa vie en navigant autour de la planète à l'époque où le port de Marseille rayonnait dans le monde entier.
Pour ceux qui ont eu la chance de naître sur ses bords, la Méditerranée est une mère que nous avons en partage.
J'aime arriver sur Nice, une bonne musique dans la voiture, j'y viens une fois par mois, parce que tout au long de la Promenade des Anglais, chaque fois que la circulation m'en laisse le loisir je tourne la tête à droite et je la vois qui nous accompagne comme une hôtesse accueillante. Je prends des photos avec des joggers et des promeneurs en amorce qui amènent une dynamique sur cet arrière-plan immuable . Ses fonds lui donnent un bleu un peu différent, plus doux, comme une promesse sucrée. Ici elle ne joue pas à cache-cache, elle est offerte, ne songeant pas une seconde à modifier son paysage pour mieux se laisser caresser du regard. Plus qu'invité, j'ai beau me trouver à plus de 200 Kms de Marseille, je me sens chez moi, et je sais que quoi qu'il se passe d'énervant au cours de mon activité professionnelle, j'aurai tout loisir si je le souhaite, de méditer quelques instants face à cet horizon pour me remplir l'âme de sa couleur, et tout ira bien.
Aujourd'hui, cinq jours après ce drame supplémentaire qui nous a tous glacés, j'ai préféré couper la radio. Je n'ai pris aucune photo. Les habituels promeneurs me semblaient des statues et j'avais le sentiment de traverser un sanctuaire, de frôler des âmes encore hébétées d'avoir été si brutalement, et sans raison, expulsées de leur corps. Je crois que j'aurais voulu les rassurer. 
J'ai décidé de manger dans le vieux centre, par solidarité avec cette belle cité. Je ne prends jamais le temps de le faire. J'ai eu le plaisir de constater que les niçois ont repris le chemin des restaurants, les terrasses sont pleines, des jeunes s'embrassent, il y a de la musique, des danseurs, et même des acrobates de rue qui voltigent dans l'air comme pour conjurer les affreuses visions qui figèrent l'autre soir les rescapés, juste quelques centaines de mètres plus loin.
Et de la terrasse où je viens de m'envoyer une pizza dans l'estomac, je me dis que si l'imbécile malheureux qui a semé la mort, en ce sinistre 14 juillet 2016, avait pris dans les jours qui précédèrent, ne serait-ce que quelques instants, le temps de méditer seul face à la mer, il serait peut-être encore de ce monde et les familles ne se trouveraient pas ainsi plongées dans le drame absolu.
Oui, il suffisait de regarder et d'écouter la mer... qui parle la langue universelle de tous les dieux de paix.


jeudi 26 mai 2016

Ô VOUS, FRÈRES HUMAINS. LUZ (d'après le texte d'Albert Cohen)


Certaines œuvres naissent de la nuit, des ténèbres, des zones de l'esprit où la haine flirte avec la mort.
J'ai découvert Ô vous, frères humains à l'âge de vingt ans, quand Bernard Pivot rediffusa l'émission qu'il avait consacré à Albert Cohen après le décès de celui-ci, à Genève, en 1981. Cette lecture m'avait bouleversé. J'avais dévoré dans la foulée tout ce que l'auteur, qui depuis ne quitta jamais mon panthéon littéraire, avait pu produire avant de finir sa vie.
Albert Cohen raconte dans ce livre comment, et avec quelle cruauté, un camelot le désigna comme juif, aux yeux et aux oreilles de la foule qui les entouraient, dans une rue de Marseille, alors qu'il atteignait sa dixième année.
Dans son style incomparable, fait d'une phrase qui s'enroule, hypnotique, en cercles concentriques, l'auteur nous emmène dans cet enfer mental que l'incident propagea dans son esprit, le conduisant aux portes de la folie. Ce texte est d'une telle force qu'il me semblait totalement inadaptable, ou alors en prenant le risque de le rendre fade.
Pourtant, Luz, le dessinateur, y est magistralement parvenu.
Combien de pièces obscures et glacées a-t-il traversé, pendant combien de jours ?
Certaines œuvres naissent des ténèbres... celles dans lesquelles l'un des dessinateurs emblématiques de Charlie Hebdo fût plongé dans les mois qui suivirent les attentats entraînant la disparition de ses amis, suivis de tellement près par les fusillades du novembre sanglant de 2015.
Avec une intense et puissante création, Luz restitue toute la force du texte d'Albert Cohen par un dessin épais, nerveux, sans aucune légende, poussant son art dans les plus hauts degrés de son potentiel expressif. Il en ressort un livre qui nous saisit aux tripes, nous fige dans le mutisme, nous ramène au tréfonds de nous-mêmes. Il faut plonger dans cette œuvre noire de la folie et de l'abjection pour y puiser toutes les raisons de continuer à voir un frère dans l'autre, se garder de l'attitude immonde par laquelle certains désignent encore l'étranger, trahissant ainsi l'humanité toute entière.
À mettre dans toutes les bibliothèques.

Ô vous, frères humains, Luz. Éditions Futuropolis. 19€

mardi 24 mai 2016

JE ME SOUVIENS DE TOUS VOS RÊVES, René Frégni


Certains livres de René Frégni ne sont pas des romans. On pénètre entre leurs pages sans rien connaître à l'avance des sentiers sur lesquels ils vont nous entraîner.
Son écriture est une invitation amicale à partager ses cheminements physiques et intellectuels, spirituels conviendrait mieux. Ce sont les chroniques profondes d'un homme qui a préféré la solitude de la campagne à celle de la ville, une pensée en marche qui cherche les choses derrière les choses, ou bien toutes sortes de signes qui permettraient de ralentir la vitesse de la mort au travail.
Je me souviens de tous vos rêves, le nouveau livre de René Frégni, sorti récemment chez Gallimard, pourrait être la suite de La fiancée des corbeaux. On y croise des personnages réels sur lesquels le marseillais de Manosque a posé un regard aimant, curieux, et juste. Un regard qui les dote d'une forte odeur romanesque, au point qu'on ne sait plus très bien où se trouve la frontière entre la vie et la littérature. Un libraire, un promeneur-photographe, une hôtelière, une institutrice, un homme qui bulle, une fille seule et triste, un sdf... un chat, et au milieu, les constats et les interrogations d'un homme qui s'enivre du présent sans cesser de regarder vers le passé. Ainsi vibre-t-il entre désir et nostalgie, fuite et affrontement. C'est un confident généreux aussi bien pour parler de lui que pour évoquer les autres. Un écrivain de la rencontre, de la solitude et de la surprise aux détours des chemins.
Un homme qui transforme en contemplation une liberté vers la conquête de laquelle il a tendu toute sa volonté.
Lisez Je me souviens de tous vos rêves, si comme lui vous avez peur de mourir.
Vous ne penserez plus qu'à vivre... intensément.

Je me souviens de tous vos rêves, René Frégni, éditions Gallimard. 14€







samedi 7 mai 2016

PASSAGES À L'ÉTRANGER, Gilles Ascaride



Vient de sortir dans les librairies une nouvelle œuvre aux éditions du Fioupélan signée du roi de l'Overlittérature.
Comme son auteur, ce livre quand tu le vois et que tu le feuillettes, il a l'air tout frêle mais mèfi, il est bourré d'une drôle d'énergie.
Gilles Ascaride nous apprend dans Passages à l'étranger qu'il a pas mal voyagé dans le vaste monde.
Son livre est un assemblage, une compilation alchimique de notes de voyages extravagantes, quarante ans de déplacements absurdes et désordonnés, restitués dans leur chronologie mais compressés sous vide en 108 pages qui se savourent dans une hâte lente, un doux vertige. Qu'on me pardonne ces images, je cherche à rendre la sensation particulière du lecteur de ce journal de voyage si renversant qu'il finit lui-même par nous voyager dans l'esprit.
Ascaride, sociologue, fin observateur politique, écrivain, comédien, semble nous confier qu'à son exemple, l'ailleurs a beau paraître multiple il n'en est pas moins unique. Comme le voyageur, le monde bouge mais ne change guère même si le temps avance, inexorable. Il a beau expérimenter l'éloignement, Gilles Ascaride ne se perd jamais de vue, c'est souvent son anniversaire, il est bien trop plein de lui-même pour s'oublier dans les décors, fussent-ils traversés par les mythes de l'Histoire et de la littérature, il s'y déplace avec son égo, bagage espiègle composé de ses humeurs et de son humour, dans lequel combattent ses propres limites et sa soif d'absolu. Loin de vouloir se perdre dans le monde, il ne cesse de s'y mesurer.
"Samedi 15 août
Vaduz
Liechtenstein
Petit, petit, petit, voilà enfin un petit pays qui s'est offert un petit roi. Caustique et moqueur je me mis à railler Son Altesse Hans-Adam II qui, prétendais-je, devait se tenir sur un seul pied afin de ne pas piétiner hors de ses états. Puis je raillais un peu moins en pensant que je lui ressemblais pas mal."
Devenu personnage, en se dispersant façon puzzle autour de la planète, le voyageur nous distille d'habiles petites touches de son âme, à moins que ce ne soit juste un inconscient prudent qui le dépasse à chaque étape pour nous aider par la suite à la recomposer. D'ailleurs à la fin, il se retrouvera. Il y a Amalfi, petite ville italienne, berceau de sa famille, et tout au bout de la boucle, Marseille où il est né pour devenir cet être unique et irremplaçable car si profondément complexe et singulier. Oui, Marseille, car il y a quelque chose de bien plus fort que l'appel de l'ailleurs, c'est l'appel de l'aïoli.
À déguster traanquiiillee, dans les trains, les avions, les hôtels.
Hè ma foi, on est pas que des touristes, non ?

Passages à l'étranger de Gilles Ascaride, éditions Le Fioupélan. 10€. Demandez-le à votre libraire.