dimanche 22 juillet 2012

RACINES...

Photographe inconnu




Il est toujours troublant de regarder une image du passé, surtout quand il s'agit de sa propre famille, et qu'on a connu personne. Personne, pas tout fait, le bambin à droite n'est autre que mon père. Cela me permet de dater la photo, 90 ans très exactement, l'année 1922. Il est dans les bras de sa mère, que j'ai peu connue, j'avais sept ans quand elle est morte et je ne l'ai pas souvent vue. Son mari se tient tout près de ce que j'imagine être une "batteuse", on est juste après la moisson, je dis çà mais j'en sais rien, il doit avoir quelque chose comme 27 ans, il en parait plus, la guerre de 14-18 est passée par là, il en est revenu vivant, c'est un miracle, avec la Croix de Guerre pour d'excellents états de service, mais aussi les poumons pourris par les gaz allemands qui précipiteront son décès quelques années plus tard. Sur les côtés, ce sont mes arrière-grand-parents.

Sont-ils heureux en ce jour ? Quelles sont leurs espérances ? Est-ce que la récolte était bonne ?
Ils sont sur les terres familiales, à Rougon, dans les Gorges du Verdon. Ils sont là depuis de nombreuses générations sans doute, à répéter les mêmes gestes pour assurer leur survie. Avec plaisir peut-être.

Ma grand-mère, qu'on me faisait appeler ainsi, "bonjour grand-mère", rêvait d'une autre vie, à la ville, l'exode rural avait largement commencé, les paysans s'imaginaient de meilleures conditions plus près des usines.
Elle a réussi à convaincre son mari, cinq ou six ans plus tard, d'entrer aux PTT grâce à son statut d'ancien combattant, prioritaire pour la fonction publique. Voilà comment cet homme fait et éduqué pour la campagne s'est retrouvé dans son premier poste de facteur dans le Nord, Dunkerque ou Calais, je ne sais plus. Il a fallu une intervention de quelqu'un de la famille, pour lui permettre de "redescendre" après un an là-bas, dans cet endroit sans soleil qui ajoutait à son malheur de ne plus travailler aux champs. Il me revient des vers de Victor Hugo : "heureux qui peut, au sein du vallon solitaire, naitre vivre et mourir sur le champ paternel". Ce ne fût pas son cas. J'imagine sa douleur pour ce renoncement, ce sacrifice pour l'amour de sa femme. Elle avait peut-être raison, Lucie. Je lui en ai voulu quand j'ai eu connaissance de cette histoire. Mais c'était peut-être une sage décision.

Marseille fût la nouvelle affectation de Léon. Lucie vint le rejoindre avec bonheur avec leur fils.

Mon père, Maurice avait donc sept ans quand il quitta les paysages rugueux mais grandioses de Rougon et des Gorges du Verdon. Ce fût pour lui un véritable arrachement. De là sans doute lui vint cette idée saugrenue, à 11 ans, d'entrer à l'école Courbet qui assurait la formation des futurs marins. Quitte à être déraciné autant flotter à la dérive, autour du monde.

Ainsi emporta-t-il avec lui tout au long de ses années de voyages, sur toutes les mers, sur tous les continents, dans la solitude de sa cabine, l'image à jamais intacte et vivante de ces moments enchantés de la vie des paysans, lui qui ne le fût jamais. Et je crois que c'est un étrange paradoxe que d'être resté si fortement relié à ses origines malgré un éloignement extrême et constant.

Il dût supporter avec peine la ruine progressive des maisons familiales. Tout le monde "là-haut" était mort, plus personne ne pouvait les entretenir. D'autant plus que les "vacanciers" qui prenaient villégiature dans le coin n'hésitaient pas à piller les lieux. Il parait que les amoureux squattaient les maisons. Il rêva qu'après sa retraite il remettrait tout en ordre. Il n'en eut pas vraiment l'énergie, ni l'argent. Il refusa de vendre le moindre lopin de terre légué par ses ancêtres. "vends tout, à Rougon" me dit-il pourtant sur son lit de mort, "j'ai voulu tout garder, cela n'a aucun sens, il faut tourner la page".

"Vends tout". Treize ans ont passé depuis son décès et je ne peux m'y résoudre. Je regarde cette photo de mes aïeuls dans l'attente d'un conseil, par delà la mort. Je suis incapable de me déterminer avec certitude. Et pourtant, eux semblent m'observer en disant :
"Bon, alors, tu fais quoi maintenant, tu viens ou tu restes à Marseille ?
- Pour l'instant je reste, je garde tout... et je vous aime !"

Surtout ne pas leur dire qu'au bout d'une heure de jardinage, j'ai mal partout pendant deux jours. Ils vont se moquer.

A quelques mètres de cet endroit se trouve une source à laquelle la famille doit beaucoup. C'est là que mon père m'a demandé, juste avant de mourir, de répartir ses cendres.

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