jeudi 14 février 2013

J'AI TUÉ MAURICE THOREZ

                                 


Écrire oblige celui qui s'y applique à rassembler l'intégrité de son être. Il s'agit de donner sa juste vibration à chaque mot afin que le souffle de la vie traverse les phrases et certains sont prêts, croyant obtenir ainsi un meilleur résultat, à tenir éloignée la manière la plus courante de parler avec laquelle ils ont grandi. Cela peut représenter un problème pour les marseillais. Il est très difficile de traduire par l'écriture un langage de caractère comme le "parler marseillais". Ceux qui le pratiquent ont appris très tôt qu'il était bon de ne le conserver que dans sa forme orale et uniquement à l'intérieur de la géographie de la Ville. Écrire "en marseillais", une véritable transgression aux yeux de certains, représente un travail considérable devant lequel il convient de s'incliner quand un auteur y réussit avec une parfaite maitrise comme vient de le faire une nouvelle fois l'écrivain Gilles Ascaride, roi du mouvement littéraire "overlittérature", avec son dernier livre : J'ai tué Maurice Thorez, paru aux éditions Le Fioupélan.

La force de Gilles Ascaride est de "tenir" tout un livre dans cette forme ciselée "d'écriture orale" et sans la moindre ficelle exotique, là où la plupart de ceux qui se prêtent à l'exercice ne le font que sur des passages plus ou moins longs, dans le cadre d'une narration qui ne sort guère des formes conventionnelles. C'est d'ailleurs tout l'intérêt du mouvement "overlittérature", de proposer un sentier d'expression ancré profondément, pour combien de temps encore, dans le territoire, "merrittoire", "merdittoire" marseillais, mais c'est une bonne partie du sud de la France qui devrait se sentir concerné, qui mènerait vers un lectorat universel, pour toucher aussi bien l'australien que le chinois, l'esquimau ou le papou.

En neuf textes très différents, l'écrivain marseillais se livre, sur un arrière-fond politique, à un retour sur son passé aux travers d'épisodes qui, s'ils comportent tous un caractère de gravité, la conscription, Thorez et le communisme, mai 68, le Front National, sont revisités avec cette dérision, cette distance par l'exagération qui composent en partie ce qu'on qualifie "d'esprit marseillais". Ainsi s'esquisse le portrait d'un auteur qui dans cette forme de funambulisme littéraire se tient en équilibre sur l'ensemble des facettes de sa personnalité complexe, à la fois marseillais du dedans et du dehors (il vit à Aix-en-Provence), comédien de formation (cela s'entend au rythme du phrasé), mais aussi sociologue, et enseignant de cette discipline à la faculté d'Aix pendant sa carrière, impliqué à un moment de sa vie dans la politique, qui ne semble jamais totalement se trouver là où on l'attend et certainement pas dans la peau d'un retraité.

Derrière la faconde, la puissance et l'emphase du verbe, un art consommé de la fanfaronnade clownesque, mais aussi l'acuité du regard qui signale celui qui observe avec des outils sophistiqués d'analyse les choses sous le vernis des systèmes, c'est une sensibilité à fleur de peau qui se cache avec élégance et finesse derrière les masques.

J'ai tué Maurice Thorez est un livre qui donne à rire et réfléchir, une excellente porte d'entrée pour qui n'en aurait pas encore trouvée, à travers les livres d'Henri-Frédéric Blanc (pape du mouvement) par exemple, dans cette "overlittérature" tout à la fois mouvement et école littéraire, par laquelle tous ceux qui en éprouvent le besoin peuvent dire le monde en sacrifiant joyeusement les codes du bon goût de l'expression littéraire implicitement posés par un cercle étroit d'écrivains "parisiens", codes en dehors desquels un petit nombre de tartuffes de la lecture, parmi lesquels malheureusement quelques libraires, ont décrété qu'il n'y avait point de littérature.
Les assassins ne sont pas toujours ceux qu'on croit...

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