jeudi 23 février 2023

Pour Richard Martin

Ce n’est pas pour régler des comptes que je commence ce texte long et longtemps retenu.

Quand j’ai appris que Richard Martin entrait de nouveau en grève de la faim pour rester maître de son théâtre, j’ai eu la naïveté de penser que la première municipalité de gauche depuis 25 ans à Marseille, dont j’avais accueilli l’arrivée avec enthousiasme, corrigerait vite l’erreur grossière de mettre le créateur magnifique et à jamais légendaire du théâtre Toursky dans cet insupportable et misérable entonnoir : on monnaye une subvention coupée contre une convention d’un an et ciao. La musique, on ne la connaît que trop. L’autorité place ensuite un ami et il n’y a plus de problème de subvention, on l’augmente même.

Je constate avec stupeur, effroi et bien entendu colère, qu’à ce jour, cette réaction municipale corrective tellement attendue ne vient toujours pas. Et Richard au bout de 16 jours de grève de la faim est désormais hospitalisé.

J’ai besoin de témoigner à propos de ce qu’est Richard.

Je m’exprime d’abord en citoyen-contribuable, amoureux de spectacle qui paye toujours ses billets, vieux marseillais de 62 ans, dans un premier temps témoin lointain des combats de Richard pour que ce lieu existe, dans ce quartier excentré (devenu entretemps l’un des plus pauvres d’Europe).

Je connaissais avant même de rencontrer vraiment Richard Martin une partie des actes les plus spectaculaires qu’il a courageusement posés depuis cinquante ans pour obtenir les moyens de faire de ce lieu ce qu’il est aujourd’hui.

Le Toursky, je l’ai d’abord fréquenté en tant que spectateur sans jamais avoir à me plaindre de la qualité de ce que j’y venais voir, et encore moins de celle de l’accueil. Il faut éprouver la douceur de vivre du lieu, de son hall, de sa terrasse, de son restaurant pour comprendre et ressentir tout ce qu’il s’en dégage de positif, de vibrant. Ici tout le monde a sa place. Il faut voir le sourire ravi de Richard Martin promenant sa silhouette dans tous les recoins les soirs de spectacle, dispensant des mots chaleureux avec son timbre de voix si humain et profond, portant une attention particulière à tout et à tous.

Puis, un événement très spécial m’a permis d’approfondir la connaissance de cet endroit.

Mars 2020, le Covid règne et me voilà confiné comme nous tous. Dès les premières heures, je projette d’apprendre des poésies, une par jour, pour combattre le décompte macabre des morts aux infos (j’en ferai 56). Puis je réouvre le Livre de Jobi de mon ami Henri-Frédéric Blanc. Je l’ai déjà lu quatre ou cinq fois avec toujours le même bonheur. Je décide alors de l’apprendre. Au bout de trois semaines j’ai plus d’une heure de texte en tête et je me décide à appeler l’auteur pour l’informer de cette chose un peu folle : je prends plaisir à déclamer son texte tout seul dans mon salon. Blanc souhaite voir ça. Il vient chez moi, je lui « joue » son livre et il adore ce qu’il voit et entend.

Ensuite ça va très vite. Je dis que je voudrais voir ce qu’il se passerait si je disais ce texte dans un lieu plus grand que mon salon. Henri-Frédéric Blanc m’emmène au Toursky et nous faisons une répétition dans une jolie salle inconnue et inaccessible au public. À la sortie nous tombons sur Richard Martin qui souhaite que je revienne pour lui faire entendre les mots de Blanc. Je travaille quelque temps encore et nous convenons d’un rendez-vous, mais ce jour-là nous le voyons arriver plié en deux par un lumbago terrible. Je suis confus, je lui dis qu’il n’aurait pas dû venir dans cet état, « non, non » me répond-il « j’ai dit que je viendrai et je suis là, de toute façon c’est toi qui vas travailler ». Il m’ouvre la salle Léo Ferré, m’envoie illico sur la scène et s’installe au dernier rang au fond. Je suis pour la première fois de ma vie sur une scène de théâtre alors que je n’en avais même jamais rêvé, il y a au fond Richard Martin, cet homme de spectacle si plein de flamme même s’il n’est guère en forme ce jour-là, et sur ma gauche, mon ami Henri-Frédéric Blanc que je considère comme l’un des plus grands auteurs marseillais vivants, excusez du peu. Je vais rester près de deux heures sur scène à dire ce texte. Pendant toute la séance, j’ai vu Richard souffrir le martyr, sans cesse à la recherche de la position la plus confortable mais ne relâchant pas une fois son écoute. Mais il y a plus fort. Il va encore rester 3/4 d’heure pour me décrire tout ce qu’il me restait à faire si je voulais transformer ma prestation en spectacle seul-en-scène. Je lui confie que je me sentais comme un type qui va sur le Vieux-Port et qui, désignant un grand voilier décide d’y monter sur le champ pour aller traverser l’Atlantique alors qu’il n’a jamais sorti un bateau du port. Richard a alors cette phrase : « Oui, c’est un peu ça. Mais si tu te le répètes, tu ne vas jamais monter sur le bateau ». Il va ajouter derrière ces mots que je n’oublierai jamais : « Je te sens lucide et perspicace sur toi-même. Si tu ne le sens pas tu t’arrêteras. Mais à partir de maintenant, tu es chez toi ici. Tu viens quand tu veux. Si ce n’est pas libre ici, tu vas là-bas, ou là-bas, il y aura toujours un coin pour toi, pour que tu avances ».

Je vais alors travailler pendant des semaines, profitant des confinements, des jours de chômage partiel, des samedi, des vacances. Je vais m’incruster, abuser du lieu. On ne me fera jamais la moindre remarque. Chaque fois que je croise Richard, je gratte des conseils qu’il prendra toujours le temps de me donner. Il me montre le chemin avec bienveillance et humilité. Je serai aussi le témoin de son travail sur le texte de Petit Boulot pour Vieux Clown, un spectacle dans lequel il est absolument formidable et bouleversant comme ses deux camarades de scène Serge Barbuscia et  Pierre Forest. Richard Martin en train d’apprendre son texte, c’est un spectacle. Le texte est posé devant lui sur la table, il absorbe une phrase, penche son corps et sa tête en arrière, levant les bras, puis il se replie jusqu’à poser le visage sur les feuillets, comme dans une imprécation sacrée. J’aurais adoré voler ces moments avec mon téléphone mais je n’ai pas osé. 

Le Livre de Jobi est maintenant pleinement devenu un spectacle. Je ne manque pas à la fin de chaque représentation, au plus fort encore des applaudissements, d’expliquer que sans Richard Martin et l’accueil du Toursky, je n’aurais jamais pu me me produire devant des spectateurs. C’est par la fréquentation répétée du Toursky, de ses scènes, sous ses projecteurs, dans le silence des salles vides, que je suis devenu comédien. C’est là que j’ai compris que la scène est un sas entre la vie et la mort, peuplé de fantômes avec lesquels on peut jouer en toute liberté. Richard Martin m’a transmis son feu. C’est un des hommes les plus courageux, sincères, humbles, humains que je connaisse. 

Voilà ce que je voulais dire.

Richard Martin est partout au Toursky. Il est là même quand il est absent. Il s’occupe de tout. Il est derrière chaque pierre, chaque planche, chaque porte et surtout chaque décision. Il est aux commandes de ce vaisseau spatial qui nous mène vers les étoiles. Richard Martin a créé une utopie de culture. Le Toursky, c’est des spectacles, de théâtre ou de musique, des expos, des débats, des conférences. Tout se fait dans le plus grand sérieux et la plus grande convivialité. Il n’y a pas plus marseillais que le Toursky. Plus étrange, plus singulier, plus différent, ça n’existe pas. Et tous les artistes habitués à jouer sur toutes les scènes du pays ressentent cet esprit plein de charme du Toursky de Richard Martin. Alors, tant qu’il a l’envie et la force, la ville de Marseille ne peut que s’honorer à l’aider et le soutenir, et non pas donner ce spectacle déshonorant d’une politique étriquée et si peu visionnaire. Richard se battra jusqu’au bout et nous serons de plus en plus nombreux à ses côtés.

Et dire que c’est bientôt le Printemps des Poètes…

Thierry B. Audibert

samedi 20 juillet 2019

LES FURTIFS, Alain Damasio



Les Furtifs, est un roman d’anticipation qui nous parle d’aujourd’hui.
Qui sont les furtifs ? Ce sont des êtres invisibles qui vivent dans les angles morts, là où le regard ne se porte jamais. C’est la condition de leur survie. Celui qui les voit les tue. Ils se céramifient instantanément pour éviter que l’on sache comment ils sont constitués. Ils se nourrissent de nos émotions, de nos odeurs et de nos bruits, mais aussi d’images et d’ondes. Ils enregistrent tout. Comme tous les bons livres, l’histoire peut se raconter simplement. Lorca et Sahar Varèse, un couple de rebelles, ont fait face à la disparition de leur petite fille de quatre ans. Elle n’est pas morte, elle s’est volatilisée. L’une, Sahar a décidé de faire le deuil et de reconstruire seule sa vie, alors que son mari est persuadé qu’elle est ailleurs. Quand il apprend l’existence des furtifs et d’une unité d’élite gouvernementale chargée de les traquer, il va parvenir à l'intégrer.
On ne sort pas pas indemne de la lecture du dernier livre d’Alain Damasio.
Il est rare qu’un ouvrage atteigne un tel degré d’harmonie entre le fonds et la forme, qu’il nous bouscule ainsi  en même temps que les mots et le langage, dégageant d’incroyables perspectives, philosophiques, politiques et poétiques. C’est un livre qui parle de création et de transformation, qui invite à la mutation des individus et des idées.

Un livre qui nous appelle à nous glisser dans le seul angle mort qui nous reste pour échapper au mal capitaliste et à l’argent funèbre... l’utopie libératrice. 700 pages de plaisir et d’incitation à la vie et au renouvellement.

Les Furtifs. Éditions de La Volte. 25€.

jeudi 6 septembre 2018

UNE FARCE CRUELLE. MASI, de Gary Victor.


Dans cette rentrée littéraire encore foisonnante, avec près de 600 titres qui se bousculent sur les tables des librairies, figure Masi, un OVNI inattendu qui nous parvient de la planète Haïti, un roman de Gary Victor, l’écrivain haïtien le plus lu dans le monde.
On y suit avec amusement l’itinéraire improbable de Dieuseul Lapénuri, un homme jeune, veule et conformiste, il participe activement aux offices du Pasteur le dimanche, très heureux d’avoir obtenu un petit poste dans un ministère malgré des études médiocres, mais qui garde une trace profonde des mauvais traitements que lui a fait subir son père dont la violence verbale n’a jamais cessé à son égard.
L’itinéraire de Dieuseul commence à s’infléchir quand il se marie avec Anodine, une fille ravissante et ambitieuse qui compte un oncle ex-sénateur dans sa famille, ce qui vaut à son mari deux promotions successives jusqu’à ce que celui-ci soit en situation d’accéder au rang très envié de ministre. Mais il faut faire bien des concessions pour obtenir ce poste : passer dans le bureau du président... et surtout sous le bureau. Dieuseul comprend trop tard, au moment de faire un choix devant l’engin présidentiel, lui l’hétérosexuel convaincu doit se résoudre à satisfaire les ambitions menaçantes de sa femme qui l’a enjoint le matin même à sortir ministre de ce bureau. Le passage dans lequel aucun détail n’est épargné est désopilant, mais la langue, si j’ose dire, d’un Gary Victor malicieux à souhait emmène le tout dans la déflagration de l’éros du héros, il sera troublé d’y avoir pris du plaisir, laquelle se confond avec la puissante jouissance du président qui récite du Rimbaud et du Baudelaire tout au long de son extase. Car l’ingénu en matière homosexuelle obtient un résultat qui dépasse toutes les attentes et d’avoir fait jouir à ce point le président, qui s’en ouvrira aux autres ministres, va lui attirer envie et jalousie. On veut surtout connaître sa technique.
Dieuseul Lapenuri hérite donc d’un ministère, celui des Valeurs Morales et Citoyennes... il lui est précisé tout de suite qu’un dossier prioritaire l’attend sur son bureau, rien de moins que l’organisation d’un festival gay et lesbien, imposé et financé par les pays occidentaux, qui encombre le pouvoir. On recommande la plus grande diplomatie au ministre. Difficile de se passer de l’argent de la communauté internationale, tellement souhaité dans d’autres dossiers, et impossible de laisser penser à la population qu’on accepte sans réaction la morale déviante de l’occident. Dieuseul Lapénuri se retrouve très vite isolé et on se demande alors comment il va pouvoir se tirer de ce mauvais pas.
Masi est un conte cruel, une farce sombre et jubilatoire sur le pouvoir, la misère, et les préjugés autour de l’homosexualité. On y rit beaucoup.
Masi. Éditions Mémoire d’encrier. 19€

« On chuchote que, grâce à La flûte enchantée de Mozart, le citoyen Dieuseul Lapénuri est nommé ministre aux Valeurs morales et citoyennes, avec le mandat d’arrêter la dégradation des mœurs et l’abomination qui gangrènent la République. L’île sombre dans la luxure. Le président se croise les bras et s’amuse à jouir, en criant Whitman, Rimbaud et Baudelaire. Entretemps, la première édition du festival gay et lesbien Festi Masi est annoncée. Les autorités s’y opposent de toutes leurs forces. Le festival, devenu affaire d’État, prend des proportions inimaginables. Cette ruée vers la vertu, on le sait bien, n’est que mirages et effronteries. Un roman qui nous propulse dans les bas-fonds de l’âme humaine. »
Romancier et journaliste, Gary Victor est né à Port-au-Prince où il vit. Ses ouvrages sont publiés en France, au Canada et en Haïti. Il a reçu de nombreuses distinctions et prix littéraires. Il est l’auteur d’une œuvre originale acclamée dans son pays.


dimanche 11 février 2018

CACIA ZOO, MODÈLE DE LA LIBERTÉ...

Autoportrait (C) Cacia Zoo

En matière de photographie, ce sont bien les modèles féminins qui captent le plus facilement le regard des spectateurs. Je ne compte pas évoquer ici ceux auxquels on assigne une fonction publicitaire, où leur attitude, l’environnement, les vêtements qui les habillent  (quand ils en portent), procèdent d’une construction n’ayant pour but que de compléter ou doubler visuellement le message promotionnel. Je ne veux ici parler que de la photo d’art même si je ne dénie pas aux photographes publicitaires une véritable démarche artistique.
De tous les modèles féminins que j’observe depuis que je m’intéresse à l’image et à la sémiologie, l’un de ceux qui me fascinent le plus est Cacia Zoo, modèle et artiste new-yorkaise que j’ai eu le plaisir de découvrir sur le site Tumblr, application ouverte où il est possible à tout le monde de visiter son univers.http://caciazoo.com/ Le nombre de photos sur lequel apparaît ce modèle est considérable et peut filer le vertige (il apparaît toutefois que l’artiste a considérablement réduit le nombre de ses photos dernièrement).
La mine boudeuse ou amusée, elle s’y affiche, souvent dévêtue ou le visage en gros plan, réussissant cet étonnant tour de force, quel que soit le photographe qui l’a figée, de diffuser sur l’ensemble de la photo une onde puissante de mystère. Cacia Zoo, de ce point de vue, fait presque mentir Alfred Hitchcock, lequel déclarait qu’il détestait les actrices qui portaient leur sexe sur la figure au prétexte que leur visage ne prêtait aux spectateurs aucune possibilité de projection, aucune ambiguïté, ainsi préférait-il les femmes au visage froid, glacé, blonde, mais peut-être capables de vous entreprendre dans un ascenseur. On sait que Grace Kelly fût son plus grand fantasme. Et pourtant, si Cacia Zoo semble tout le contraire de ce genre de femme, avec ses cheveux bruns et raides, sa peau mate, cette bouche pleine d’une vibrante sensualité, il n’en demeure pas moins que si elle se multiplie de toutes les façons et dans toutes les positions, elle ne cesse dans le même temps de se dérober à qui voudrait la saisir pour percer son énigme. Vous pouvez penser qu’elle s’exhibe, mais c’est pour mieux se cacher, ou pour chercher une belle fuite en cultivant toutes les ressources de sa liberté.
Cacia Zoo pourrait être une femme caoutchouc, un modèle de silicone capable de prendre toutes les formes.
(C) Cacia Zoo
Cette troublante souplesse qu’elle utilise volontiers évoque les cascades enfantines et lui confère une touchante innocence. Cette modèle navigue avec une étonnante aisance entre candeur et provocation, quelque chose se consume en elle, un
feu intérieur alimenté par une énergie totalement renouvelable 
et inépuisable qui va de l’un à l’autre. Mais plus que tout, Cacia Zoo apparaît comme une exploratrice. Ses poses ne sont jamais conventionnelles, elle participe à l’invention de chaque photo en tentant de s’écarter de tous les sentiers battus. C’est un modèle particulier qui cherche en permanence à inventer la photo dont elle-même est à la fois l’objet et le sujet. Elle interroge le vide, elle le défie même, elle prend un malicieux plaisir à le traquer, à le poursuivre, à l’occuper, à le dépasser.
(C) MAmu
Chaque photo 
est un espace dans lequel elle laisse flotter son corps, c’est un sentiment d’apesanteur que donne ce personnage qui finit par exister quand se réunissent toutes ses apparitions dans l’esprit du spectateur. C’est dans l’accumulation qu’on la trouve et qu’il est possible de saisir son âme. J’ai souvent pensé que la nudité n’est pas sexuelle. Cacia Zoo ne l’est jamais à mes yeux. Qu’elle soit nue, ou habillée des sous-vêtements les plus affriolants, c’est toujours sa part ludique qui ressort de l’ombre funèbre, et qui l’emporte même si je la crois plus près de Thanatos que d’Éros. Elle ne cherche jamais à faire la démonstration de sa beauté, comme trop souvent les modèles, bien au contraire, il peut lui arriver de s’enlaidir sans que cela ne lui pose le moindre problème.
(C) Robert Szatmari
La beauté n’est pas un enjeu pour elle, son corps ne veut pas être autre chose qu’une célébration de la vie. Cacia Zoo attire capte la curiosité des photographes. Chacun cherche à l’interpréter en l’attirant dans son univers, en lui appliquant ses propres repères, mais le plus souvent les photos semblent n’avoir qu’un auteur, leur modèle, cette femme qui pourtant s’abandonne et demeure insaisissable. Ici repose toute la beauté et le charme de son paradoxe.
Il faut souligner, et c’est juste mon avis, que c’est de sa relation et de sa collaboration avec cet extraordinaire photographe et artiste qu’est Teknari que sont nées les plus belles et les plus fortes images, que ce soit pour l’un comme pour l’autre. Ce travail pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un article à lui tout seul.

Alors, je suis curieux de ce travail de Cacia Zoo, l’artiste, de ses photos et de ses vidéos, et je veux continuer cette observation en étant attentif aux virages que prendra son inspiration, mais j’invite tous les curieux de la chose photographique à porter un regard sur son univers singulier et pluriel.
(C) Cacia Zoo


samedi 27 janvier 2018

QUARTIERS NORD, MONUMENT DE LA SCÈNE MARSEILLAISE !!!



Le groupe Quartiers Nord fêtait ce vendredi et samedi 26 et 27 janvier 2018 ses 40 ans d’existence au théâtre Toursky, lieu magique et vibrant qui a servi d’écrin à toutes ses productions depuis tant d’années. Ceux qui se seront donnés la grande chance d’être présents dans ce moment exceptionnel, loin de résonner comme un bilan, auront assisté à un spectacle plein mené à un rythme infernal, tirant une putain d’énergie de toutes ces années défilant parfois sur l’écran qui surplombait le fond de scène. Capables d’un rock puissant et électrisant comme de mélodies entraînantes, certaines devenues des tubes issus de leurs opérettes-rock, un genre dont la postérité les désignera à jamais comme les inventeurs, Quartiers Nord a déroulé tout le spectre plein de relief de son registre si singulier, avec ses textes sans concession à l’humour jubilatoire. Il fallait être jobard, il y a 40 ans pour décider de ne chanter cette musique qui a inondé le monde à partir des années 50, ni en anglais sa langue originelle, ni en français, tellement fade, mais en marseillais, avec ses mots terribles, épicés, violents et rebelles. Ce langage traverse tous les morceaux, il les tient en équilibre entre rage, rire et poésie, il vient des quartiers populaires de la ville dont les tous les membres sont issus, il vient du caniveau dans lequel les puissants maintiennent les plus faibles, c’est à partir de là que Quartiers Nord a bâti son répertoire et ce n’est pas un hasard si la chanson par laquelle Rock, l’un des leaders historiques du groupe, jean serré et poitrine nue sous un blouson de cuir, attaquait ce concert monumental avec Incrusté dans un WC :
« J’habite un vieux WC, dans une cour désaffectée, perché sur le flotteur d’une chasse d’eau bouchée, infect et fétide, bourré de tous les vices, je me proclame Roi de tous les parasites. »
Il enchaînait avec « Pré-Hu’ » quasiment une façon d’assumer pleinement sa place de dinosaure du rock, ce genre musical dont les jeunes des quartiers se détourne au profit du Rap : « Moi je suis le dernier vivant d’une ère terrassée, Pré-Hu’, Pré-Hu’, je tiens à ce statut ». Et puis ce fut le rire avec l’arrivée comme deux bras cassés des vieux complices, Tonton et Fred Achard, pour un tonitruant One again a fly qui sans ambiguïté annonçait à la face du peuple que le groupe plus que jamais soudé humainement, vocalement, musicalement, allait remettre çà sans vergogne et sans modération, c’était beau, c’était pêchu et toute la salle, pleine à craquer, il faut le souligner, bascula dans les folies de la jeunesse, de l’inconscience et de la rébellion. Ce fût non stop jusqu’au bout et j’arrêterai là l’inventaire de ce qui suivit, tant pis pour les absents. Et il faut dire avant d’aller plus loin toute la beauté de l’ensemble musical dirigé par l’autre leader, Loize (Alain Chiarazzo), un des meilleurs guitaristes français, voire européen, soutenu par John Massa, énorme au saxo, et tous les autres. Quartiers Nord est un monument du patrimoine musical et littéraire marseillais. Ainsi devrait penser tout marseillais qui se respecte. À celui qui m’objecterait que je n’ai pas à me hisser en arbitre du bon ou du mauvais goût je répondrais qu’il regarde bien alors qui il est et d’où il vient et s’il est marseillais, ce que ça veut dire pour lui quand il n’assume pas la vulgarité, le mauvais goût, l’irrévérence, certes parfois pénible, mais aussi la poésie et le rire ainsi que la révolte dont nous sommes ici tous porteurs à des niveaux très différents, sans oublier la mauvaise foi et l’excès... Quartiers Nord est à placer irrémédiablement à côté de Pagnol, sous son bienveillant patronage, tout comme Joe Corbeau et les Massilia Sound System, avec Vincent Scotto et Sarvil. Rock (Robert Rossi), Tonton (Gilbert Donzel) personnage atypique qui n’a aucun équivalent sur la scène française, Fred Achard, sûrement l’artiste de scène le plus complet que nous ayons, sont les dignes enfants d’Alibert, de Fernandel, Charpin, Blavette, Rellys, Andrex. Ils sont porteurs du même génie de la distance et de la légèreté déjantée, ils proviennent des mêmes entrailles du peuple d’en-bas. Ce serait une grave faute pour nos contemporains de ne pas reconnaître dans leur grande majorité le caractère emblématique que leur octroie déjà plusieurs milliers de personnes dans notre région, ce serait une grossière erreur de ne pas les accompagner et les soutenir comme le firent encore ceux qui assistèrent à ces deux concerts d’anniversaire. « Il me manque des morceaux » disait un homme devant moi à sa compagne, « ils ont pas fait Engatse sur le 31 ». Un autre plus loin se plaignait de l’absence de Partouze à six à minuit moins dix. Je regardai alors ma montre qui affichait cette heure jouissive. Le concert avait plus que largement passé les deux heures et tout le monde était encore dans les vapeurs du plaisir. Tu en connais beaucoup des concerts où tu as envie de remercier chaleureusement les acteurs à la fin ? Moi non, et pourtant je sors pas mal.

Là-haut, il y a une petite vidéo du début du final, jusqu’à ce que la mémoire de mon tél me lâche... et merde, j’aurais bien tout filmé jusqu’au bout. Il faudra surveiller les morceaux tirés de la captation vidéo qui se faisait parallèlement, mais plus que tout, Quartiers Nord se produit régulièrement dans toute la région, ne les manquez sous aucun prétexte, ils vous parlent de vous, de vos tripes, enfin, de Nos pieds-paquets à la marseillaise.

lundi 27 novembre 2017

LA NUIT VERNIE (Expo « Nous sommes Foot » au Mucem)

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Incontournable : La Nuit Vernie, vendredi 1er décembre en nocturne


L’expo extraordinaire « Nous sommes Foot » qui se tient au Mucem jusqu’au 4 février 2018 connaît un succès sans précédent, aussi bien en terme médiatique que du point de vue de sa fréquentation. Le pari d’amener vers le foot le public des musées, mais aussi dans l’autre sens, de faire venir au Musée les passionnés de football est déjà très réussi.
Nous ne pouvons qu’encourager sans réserve tous ceux qui n’ont pas encore eu la possibilité de venir à y aller pour s’imprégner de toutes les dimensions du foot, cette passion planétaire, ce langage universel qui unit bien plus les peuples qu’il ne les oppose.

Pourquoi ne pas le faire alors dès ce vendredi 1er décembre pour « La Nuit vernie », un évènement extraordinaire et complètement original, énorme, qui mêlera ambiance du football et musique électro, avec pas moins de 4 DJies qui plaqueront leurs mix par-dessus les deux plus belles ambiances du championnat de France de Ligue 1.

VOIR OU REVOIR OU RE-REVOIR L’EXPO « NOUS SOMMES FOOT ».
Vous pourrez dans un premier temps découvrir l’expo avec comme guide les plus passionnés des étudiants de la fac Aix-Marseille 1 qui partageront avec enthousiasme leurs découvertes autour des jeux et des enjeux du ballon rond. En parallèle, la soirée vernie et surtout festive, se poursuivra avec les deux matchs en back to back de DJies fanas de foot sur fond de voyage musical.

19h

Le derby Lyon / Saint-Etienne : G2S (Lyon) vs Kaffe Creme (Saint-Etienne)

G2S (C) DR


G2S est un DJ lyonnais de la nouvelle génération affilié au collectif de La Chinerie : adepte du sampling vinyle et du matériel à l’ancienne, ilpropose sa propre vision organique et poussiéreuse de la house (et parfois du hip-hop) à travers ses productions.

Kaffe Creme (DR)

Kaffe Creme est un artiste à part. Il a affiné sa culture musicale, ses goûts et son oreille pendant près de 14 ans au conservatoire avant de de se tourner vers la musique électronique. Jazz, funk, disco, house, électro ; son éclectisme transpire au travers de ses Dj-sets qu’il considère lui-même « comme des histoires ». 


22h
Le classico Marseille / Paris : Dj Oil (Marseille) vs DJ Yellow (Paris)

DJ Oil (DR)

Inutile de présenter le Marseillais Lionel Corsini aka DJ Oil, producteur, auteur et DJ depuis 1988. Ex-membre du groupe Troublemakers, il est aussi l'un des fondateurs du club de supporters MTP (avec Depé). Il a aussi a été entraineur de foot de minots à Marseille !


DJ Yellow aka Alain Ho est probablement le fan #1 du PSG sur la scène électro. Fondateur du label Yellow Productions, il est l'initiateur d'une rencontre improbable entre musiques électroniques et bossa brésilienne.


https://www.facebook.com/events/369788830145773/

mercredi 2 août 2017

MANHATTAN BLUES, Jean-Claude Charles


Il y a des auteurs qui même après leur mort n’ont toujours pas atteint toute la notoriété qu’ils méritent. Jean-Claude Charles est de ceux-là. Né à Haïti en 1949, parti faire des études, qu’il abandonnera, au Mexique, il ira ensuite à Chicago puis surtout à New-York avant de devenir journaliste à Paris où il avait repris ses études. Il décèdera en 2008, laissant derrière lui deux recueils de poésie, trois essais et quatre romans dont cet extraordinaire MANHATTAN BLUES publié en 1985 par Bernard Barrault.

Ferdinand vit à Paris mais vient passer quelques jours à New-York pour écrire dans l’appartement de sa maîtresse Jenny, qu’elle n’occupe pas, pendant une parenthèse de leur histoire amoureuse qui les a éloignés. Il vient aussi pour trouver des financements pour un film mais tout cela ne va plus guère compter quand il va rencontrer Fran, une traductrice au bord de la rupture avec Bill un peintre qui ne lui laisse guère de place dans son appartement atelier. L’histoire fortement autobiographique est ténue et n’a finalement que peu d’importance face à cette écriture très inspirée par deux références revendiquées, Joyce et Céline, qui déconstruit la langue pour créer un rythme aussi chaloupé qu’un standard de jazz, on écoute pas mal de musique dans ce roman. On a ici un verbe qui traduit avec beaucoup d’élégance et de liberté le rythme de la pensée, celui interne de chaque personnage, les idées qui passent, les certitudes, les doutes, et les peurs. Ces personnages de l’ère Reagan sont tous largués et peinent à assumer leurs sentiments dans une Amérique en mutation. Une grande contribution d’un écrivain noir à la Littérature francophone avec cette écriture qui invente sa propre forme. En arrière-fond, il y a le New-York de l’avant 11 septembre que les amoureux de cette ville prendront plaisir à retrouver car les personnages s’y promènent beaucoup, à toutes les heures du jour et de la nuit. MANHATTAN BLUES est un vrai putain de bon livre, il n’est guère étonnant que Marguerite Duras l’ait avalé en une nuit avant d’en parler avec beaucoup de respect pour son auteur.

Il faut ici saluer la formidable initiative des éditions Mémoire d’encrier de rééditer toute l’oeuvre de Jean-Claude Charles, une maison d’édition dynamique qui porte haut et fort la littérature et la pensée des auteurs noirs. On ne peut qu’inviter les bons libraires français à référencer le meilleur de ce catalogue brillant et vibrant. Les éditions Mémoire d’encrier sont maintenant diffusées et distribuées par DG DIFFUSION.