samedi 24 novembre 2012

NANO LECTURES de BARBARA BIBS

(c) Thierry B Audibert
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Les éditions Anne d'Hercourt qui viennent juste de naitre et auxquelles le monde de la librairie souhaite la bienvenue, proposent déjà une publication très attirante avec ces Nano Lectures, le premier livre de Barbara Bibs.
Ce  petit format, à l'élégante couverture gris-argent, renferme de savoureuses pépites qu'il convient de déguster lentement. Barbara Bibs se montre douée d'un art subtil pour mitonner en peu de mots une douce épaisseur à ses personnages, créer une situation avec un enjeu, par des narrations courtes, voire très courtes, d'une demie-page, une page, une page et demi, rarement plus.
Chez Barbara Bibs, la réalité glisse, subit torsion et renversement sans se trouver pour autant transformée. Les contraires semblent échanger leur essence, les choses les plus infimes se chargent d'intensité. Ces Nano Lectures diffusent des courants chauds et froids, "sensuels" pourrait convenir si ce petit livre, qui a tout d'un grand, ne refusait une telle facilité. Elles maintiennent le cerveau du lecteur dans un délicieux état de concentration amusée, le promenant avec discrétion du côté de la face cachée des choses. Avec son vocabulaire jamais précieux ni ostentatoire, Barbara Bibs réussit le tour de force d'être poétique dans sa prose, mais sans prendre la pose, et le lecteur partagera la douce jubilation de son écriture qui a l'élégance de cacher le travail derrière sa volupté, invité à jouer avec les codes et les représentations. Chaque texte est une bulle de savon qui éclate juste après nous avoir fasciné, ils laissent une trace comme le flash sur la rétine. Ils ont le charme et la simplicité de l'instant, mais aussi son absurde gravité. L'écriture de Barbara Bibs, jamais laborieuse, ne singe pas l'exercice de style, mais le lecteur sera toujours tenté d'y revenir, histoire de chercher les coutures, il lui faudra un oeil avisé, il réside une finesse toute féminine dans son artisanat, même si le double qui l'inspire est du genre masculin.
A lire partout, de préférence entre deux moments, salles d'attente, transports, restaurant (entre deux plats), avant le premier sommeil, ou juste avant de sortir du lit.

Nano-Lectures,  de Barbara Bibs. Éditions Anne d'Hercourt. Prix 13€. Chez tous les bons libraires.
Diffusion-Distribution DG Diffusion.

samedi 10 novembre 2012

SEUL...

(c) Thierry B Audibert



On nait, on vit, on meurt, seul.
Nous sommes quelques-uns, dans les passages difficiles de notre existence, à psalmodier cette phrase, espérant pour certains qu'interviendra tôt ou tard le moindre élément objectif pour infirmer ce triste constat, malgré l'ensemble des échanges sociaux, réels ou virtuels, un entourage familial aimant et bienveillant : on nait, on vit, on meurt, seul.

Je parle de tristesse car c'est ainsi que la plupart perçoivent la solitude, comme si elle ne pouvait résulter que d'un rejet ou d'un auto-enfermement, le choix d'un repli pour s'extraire de forces hostiles et menaçantes pour l'égo ou l'esprit, alors qu'il est des êtres censés ou plein de vie qui trouvent un vrai plaisir dans le cheminement solitaire, et jouissent de la conquête de leur totale autonomie sans avoir cherché initialement à se particulariser de la masse, ni vouloir à aucun moment s'imposer comme des exemples.

On nait, on vit, on meurt, seul : derrière la part incontestable d'une telle phrase, il conviendrait aussi de connaitre et de nous synchroniser sur les fondements véritables que nous accordons à ces trois actions de base du cycle de la vie (que peut donc signifier, naitre, vivre, mourir ?), sur les notions que nous avons construit autour de notre individualité qui incluent notamment notre relation transcendante avec un être supérieur, un Dieu créateur de toutes choses et maitre de nos vies pour l'éternité. "On nait, on vit, on meurt seul" ne saurait être prononcé par un vrai croyant, mais à l'inverse, constitue la déclaration d'un renoncement choisi à la croyance selon laquelle Dieu est en nous et autour, c'est à dire dans les autres, facteur d'union et de communion.

"On nait, on vit, on meurt seul" : que sait-on de la réalité avec nos sens limités, nos esprits bien trop accrochés à une illusoire incarnation, notre infinie petitesse, notre grandeur sans limite ? Nous ne savons rien ou peu, si bien que nous prononçons cette phrase en spectateurs impuissants de notre propre mystère, celui qui rend vain la moindre agitation vers le haut ou le bas pour nous défaire de nos inaptitudes et alléger le pesant fardeau de nos insuffisances.

C'est une phrase à ranger dans le tiroir des Vérités Absurdes car après tout : on naît, on vit, on meurt, seul... mais ensemble !?!

lundi 5 novembre 2012

MAÎTRES DES SABLES ET DU VENT...

Frédéric Rey



Je pense parfois à Frédéric Rey.

Je ne l'ai pourtant rencontré que deux fois, mais il fait partie de ces gens qui vous marquent par la qualité du regard qu'ils posent sur vous, leur faculté naturelle pour se placer à votre portée, saisir très vite les qualités et les défauts qui vous constituent et qui, sans y toucher, vous transmettent quelque chose qui ne s'efface pas.

C'était un romancier qui avait l'art d'animer ses personnages, manifestant par le détail chaque mouvement de leur âme, insufflant à leurs actions les milliers d'informations que ses yeux vifs, espiègles, acerbes, enregistraient dans la vie. Ses personnages lui ressemblaient, lui qui se montrait tout à la fois direct et pudique, piquant et amusé, ils traversaient les récits quelle que soit l'époque ou les lieux dans lesquels il les implantait, sans rien sacrifier de leur précieuse liberté d'esprit. Celle que leur prêtait leur auteur.

Je crois aussi qu'il fût un des écrivains qui parla le mieux du corps des hommes, de l'amitié virile poussé jusqu'au désir, mais avec une fine distance, une délicate façon d'évoquer les choses sans les dire. Ce trait éclate dans le dernier roman qu'il publia : L'homme Michel-Ange.

Frédéric Rey est mort peu de temps après la sortie de ce livre dans lequel il est manifeste qu'il s'était absorbé tout entier, habitant le génial créateur du David de l'intérieur, dans le projet fou de partager ses visions, son art, son âme qui sublimait chacune de ses oeuvres. Je ne suis pas loin de penser que l'écrivain est allé au bout de ses forces vitales pour ce livre monumental que je n'ai pas relu.

Sa mort, assez subite, m'avait tellement surpris, je venais de recevoir et de dévorer L'homme Michel-Ange que j'avais appelé Bernard de Fallois, l'éditeur qu'il avait rejoint après avoir publié tous ses livres chez Flammarion, lequel était lui-même encore très retourné par ce décès, d'autant plus que Bernard Pivot sous le charme lui aussi du Michel-Ange, venait d'inviter Frédéric Rey dans Apostrophes, la plus célèbre et la meilleure émission de littérature qu'ait jamais produit la télévision. Ainsi par ce décès prématuré, l'auteur qui ne vivait jusqu'à ce moment que d'un succès d'estime, passa tout à-côté d'une forte notoriété que n'aurait pas manqué de lui apporter cette émission.

J'ai recherché l'autre jour sur internet ce qui se trouvait sur Frédéric Rey. En dehors des livres qui restent à la vente, j'ai trouvé une fiche de lecture concernant La haute saison, un roman dont l'action se situe en Ardèche, pays dont il était originaire et auquel il devait sans doute sa pudeur et une forme de révolte contre l'ordre des choses, la photo en-tête de cette page, et c'est tout. Il n'y a rien sur lui qui est parti trop tôt, aux alentours de l'année 90.

Je n'ai certainement pas la prétention de rattraper cette injustice par ce billet mais il me plait de penser que si quelqu'un lançait une recherche suite à la lecture d'un de ses romans, il trouverait ces quelques mots de mon souvenir. J'ai aussi une pensée pour une vieille dame sans doute partie elle aussi désormais, Mme Bataillard, qui fût proviseur d'un grand lycée parisien, aux yeux toujours brûlants d'enthousiasme et de malice, qui avait insisté pour me faire rencontrer cet écrivain, lui-même professeur de français, et dont je me demande si elle n'était pas un peu amoureuse.

Fragilité, absurdité de nos existences. Je terminerai cette évocation par les dernières lignes de son avant-dernier roman, l'histoire d'un jeune pacha dans un ksar au milieu du désert, une méditation sur le pouvoir :
"... n'étais-je pas en train d'entretenir de nouvelles illusions ? Le pouvoir est-il davantage qu'une apparence et peut-on quelque chose pour ceux qui nous importent ? Qui nous appartient et qui nous sera reconnaissant jamais ? J'avais la puissance, j'avais la jeunesse. Mais, en définitive, je possédais ce qu'aucune main n'a jamais pu retenir. Je n'étais que le maître des sables et du vent."
Fréderic Rey Le maître des sables et du vent

Nous sommes tous les maîtres des sables et du vent...