samedi 21 mars 2015

RIDEAU SUR TOSCA 2015 À L'OPÉRA DE MARSEILLE.


Le passage de Tosca à l'Opéra de Marseille dans la saison 2014-2015 aura finalement marqué les amateurs d'art lyrique de la région. La mise en scène très élaborée mais dénuée de la moindre lourdeur de Louis Désiré aura permis à l'œuvre de Puccini de se laisser voir d'une manière différente, sombre et délicate tout à la fois, le danger demeurant toujours de ne pas en rajouter par rapport à l'intense dramaturgie du livret. Le dispositif scénique du décor, d'une grande complexité, se sera avéré plutôt fluide, exploitant au mieux la relative faiblesse de l'ouverture de la scène marseillaise, les costumes et les éclairages s'accordant bien avec les intentions du metteur en scène, lui qui avait été marqué par les aspects cinématographiques de l'œuvre, j'ai pensé à Visconti, et qui voulait mettre la mort au centre de son travail.
Les spectateurs auront sans doute dans leur ensemble retenu la prestation d'Adina Aaron pour la qualité et l'intensité de son interprétation du rôle-titre, la finesse et la sensualité de sa prestation furent très applaudies par le très connaisseur public marseillais, de même que la production pleine de force et de puissance du baryton Carlos Almaguer qui campait un redoutable et très effrayant Scarpia. Il manquait par contre quelque chose au ténor Giorgio Berrugi pour nous amener très haut et faire déboucher le tout sur une pleine et totale réussite, il est vrai qu'à sa décharge nous avons tous dans l'oreille la qualité de ceux qui l'ont précédé dans le rôle de Mario Cavaradossi, de Franco Corelli en passant par Pavarotti et Alagna. Il est toujours dommage de ne pas monter au rideau sur le "e lucevan le stelle".
Le rideau, au fait, parlons-en, nous avions lu et entendu que la séquence finale de cette mise en scène n'avait pas été appréciée par les puristes, Tosca ne se jetant pas dans les eaux du Tibre comme il l'est inscrit dans le livret. Louis Désiré a opté pour une autre solution tout à fait cohérente à mes yeux (mais je ne suis pas un puriste et un connaisseur absolu de l'Art lyrique), Tosca qui se voit bientôt rejointe par ses poursuivants vient au au bord de la fosse, le rideau de scène se ferme dans son dos, elle l'accroche et disparaît progressivement derrière lui, seulement éclairée par le faisceau d'une poursuite qui se ferme en iris. Nous avons donc un rideau qui symbolise tout à la fois le métier de Tosca qui est une chanteuse, les flots du Tibre, et le sang qui n'aura cessé de couler dans cette histoire dont les quatre personnages principaux trouvent une mort violente.
Une fin qui s'écarte de la convention sans la trahir.
Nous garderons de cette Tosca un excellent souvenir.

lundi 16 mars 2015

L'ÉTRANGE UNIVERS DE MANUEL LAVAL

Home sweet home
(c) Manuel Laval
Qu'en est-il du sexe dans l'art aujourd'hui et de l'expression érotique par laquelle certains créateurs tracent leur démarche ?
Si on peut penser que tout ce qui pouvait se montrer du corps et des mélanges des corps l'a été, en peinture, en photo, en couleur ou en noir et blanc, sous tous les éclairages possibles, quel discours nouveau l'art peut-il encore produire aux frontières du sexe brut, de l'érotisme et de la pornographie, susceptible de déboucher sur d'autres sens (cela peut s'entendre dans toutes les significations du mot), sur d'autres lectures, sur des émotions neuves.
C'est avec une curiosité toujours renouvelée que je suis depuis plusieurs mois le travail de Manuel Laval à travers ce qu'il publie sur le site Tumblr sous le titre "eroticcuboid".
On y voit se dérouler une étrange suite photographique, des cadres dans lesquels habitent des personnages nus, un peuple assimilable à des esprits de la nature reclus dans le dernier refuge où la liberté de délirer demeurerait possible, peut-être des membres d'un club échangiste condamnés à ne plus sortir de ce lieu même après la fête. Car c'est un monde joyeux et déjanté que place ce créateur allemand devant son objectif, un monde qui se serait extrait de l'Enfer de Dante ou des tableaux de Jérôme Bosch ou bien du Rocky Horror Picture Show, un monde dont on ne comprend pas facilement ce qui l'anime, sans passé et sans avenir, pris dans des situations absurdes dont le sens ne se laisse pas facilement saisir, s'il y en a un, une infinité d'interprétations se proposent à qui voudrait décoder ce bien mystérieux tarot onirique aux multiples lames colorées, parfois mythologiques dans lesquelles peuvent se percevoir les références à Tinguely ou Escher.
Chess Loser
(c) Manuel Laval

Manuel Laval prend un malin plaisir à déconstruire les codes de la photo érotique, il en emploie tous les éléments en les déconnectant de leur maléfique et troublant pouvoir d'attraction, ce qui peut faire penser que cet univers insensé est aussi insensuel. Tous les naturistes savent que la nudité n'est pas (forcément) sexuelle et il est ici question de l'utiliser pour combattre toutes les formes de tabous. Il est possible toutefois que ces photos soient uniquement perçues sous un angle provocateur et subversif. Nous sommes peut-être face à une tentative "naïve" de montrer des personnages qui essaient de transformer l'univers structuré et rationnel dans lequel une organisation sociale extérieure (qu'ils ont rejetée, mais cela peut aussi être le contraire) s'est efforcé de les contraindre. Ils se sont en tout cas débarrassés de toutes les marques par lesquelles se note la représentation sociale. Ils évoluent dans un au-delà du désir et de la fantasmatique, un au-delà de la consommation dont ils détournent les oripeaux qui traînent encore dans le cadre. Nous contemplons des modèles qui nous regardent parfois d'un air malicieux, ravis de participer à ce jubilatoire délire, il est du reste plaisant de noter ici que personne ne se prend au sérieux. Manuel Laval n'utilise pas de modèles professionnels, ce sont des amis qui en toute confiance viennent inscrire leur présence, leur corps dans son univers créatif et onirique. Il peut être intéressant de poser ces photos les unes à côté des autres pour débusquer ce qui peut les relier plus encore, tenter de voir comment de l'une à l'autre les interprétations peuvent se renforcer ou s'opposer, mais il est clair qu'à travers leur profusion et la régularité de leur production, la paradoxale unité de leur diversité, on perçoit l'existence d'une véritable obsession artistique dans le travail de ce créateur que je vous invite à découvrir, tout en étant curieux de savoir si vous partagerez mes perceptions.
http://eroticcuboid.tumblr.com

7+Traces on the Belly
(c) Manuel Laval
Best rest
(c) Manuel Laval
"t". (c) Manuel Laval