lundi 31 octobre 2016

MARIA STUARDA, Opéra de MARSEILLE, 30 octobre 2016



Ce blog n'a pas d'autre justification que le plaisir que j'ai de mettre des mots sur certaines émotions, et si je les partage sans aucune pudeur parfois, c'est juste qu'il m'arrive de penser que mes billets, comme des bouteilles au cosmos, vont trouver des gens au bout d'une course incertaine dans l'infini virtuel qui seront heureux de les lire, la chose est arrivée quelques fois déjà, cela suffit à mon bonheur. À qui en douteraient, j'en connais, je réaffirme que l'intensité ressentie est bien plus dans l'écriture que dans une attente hypothétique que ces lignes soient lues par un très grand nombre, d'autant plus que je n'ignore pas que le temps de l'écrit, et surtout des blogs "texte", semble pour l'instant révolu, provisoirement j'ose l'espérer.
Je voudrais juste ici confier l'enchantement que nous avons vécu le dimanche 30 octobre à l'Opéra de Marseille pendant la représentation, en version concertante, de l'œuvre de Donizetti Maria Stuarda. Je ne suis aucunement qualifié pour parler d'opéra. Je ne fréquente ce lieu que depuis quelques années en autodidacte qui ne connaît pas la musique. Nous parlons ici d'un art d'une richesse infinie dont je suis loin de maîtriser tous les codes et dont j'écoute parler les spécialistes avec beaucoup d'humilité et de gratitude. Pourtant, il me semble bien qu'il s'est passé quelque chose de rare et précieux pendant ce spectacle pour lequel chacun des artistes distribués dans les six rôles que propose le livret a évolué au plus haut de ses possibilités techniques. Si l'histoire est simpliste, reposant sur la rivalité entre deux femmes amoureuses du même homme, Elizabeth reine d'Angleterre et Maria Stuarda reine d'Écosse, Donizetti qui exploite la veine romantique a placé dans cette oeuvre de hauts et périlleux moments de bravoure vocale qui vous décollent de votre fauteuil pour peu que votre audition n'ait à souffrir du moindre handicap. Nous avons eu la chance de découvrir à cette occasion, et pour la première fois à Marseille, la fougueuse mezzo-soprano espagnole Silvia Tro Santafé qui chantait le rôle de l'orgueilleuse et jalouse Elizabeth, elle a déboulé jusqu'en bord de scène comme une torera qui porterait tout l'orgueil de l'Espagne, nous toisant du regard comme pour nous dire "vous allez voir ce que vous allez voir", et qui dès les premières notes nous a littéralement électrisé les tripes. J'ai rarement entendu une chanteuse aussi applaudie à la fin de son premier morceau, j'ai rarement assisté à autant d'applaudissements au milieu et à la fin d'un premier acte. Annick Massis s'est posé dans un autre registre, plus doux, plus subtil, plus délicat, avec aussi toute la fermeté nécessaire au moment où les deux personnages s'affrontent. C'était extraordinaire, sublime, magnifique. Les scènes de chant à cinq, six voix, et choeurs, m'ont emporté vers des hauteurs où même la plus efficace des drogues ne m'élèvera jamais, ma douce épouse qui me tenait la main était elle aussi tout là-haut avec moi et nous partagions ce moment de grâce avec l'ensemble des spectateurs autour de nous, un de ces moments rares où vous avez l'impression que vous ne faites plus qu'un avec l'univers dans lequel vous vous déplacez comme transporté par les anges. C'est pendant les applaudissements à la toute fin du spectacle que je me suis rendu compte que je n'avais pas pris le temps de lire les sous-titres des paroles, que les sonorités avaient suffi à me remplir l'âme au point que l'intellect s'était retiré pour leur laisser toute la place. Mon Dieu, c'était tellement beau, et je n'ai rien d'autre à offrir ici que de vous faire entendre les applaudissements et le triomphe de la distribution où le ténor, la basse et le baryton eurent aussi leur part. C'est dérisoire, mais dans la mesure où je crains qu'aucun enregistrement n'ait été effectué, voilà bien les seules traces matérielles de notre plaisir. Merci de m'avoir lu. Essayez l'opéra si vous n'en avez jamais fait l'expérience.

vendredi 28 octobre 2016

MASSILIA SOUND SYSTEM LE FILM


POÉSIE, RYTHME, ET PARTAGE

Il se dégage une saine jubilation de la projection du nouveau film de Christian Philibert consacré au Massilia Sound System. Courrez-y pour voir sur écran géant ce groupe d'hommes à la fois lucides et déjantés qui inventent depuis trente ans une expérience artistique qui n'a guère d'équivalent dans le paysage musical français. Allez-y pour vous nourrir de cette énergie qui nait de leur contact avec leur public, de ce partage authentique de la fête dans la fusion dionysiaque des corps et des esprits contestataires. Le tour de force du fameux réalisateur des quatre saisons d'Espigoule, repose sur la fluidité qu'il a su donner au film en racontant tout à la fois l'histoire du groupe, mais aussi celui de chaque individu qui le compose, les projets parallèles qu'ils mènent séparément, le tout en échappant au didactisme qui menace toujours ce genre d'exercice si on se laisse aller à l'intention d'imposer un propos. Les séquences de concert, on stage ou backstage, les déplacements d'une tournée, alternent avec des archives, les témoignages face caméra où les visages des membres du groupe qui se détachent sur fonds noir (celui du deuil de l'un des membres disparus trop tôt mais si furieusement présent encore) apparaissent dans toute leur vérité, nous faisant toucher du doigt leur cohésion individuelle et collective. Les propos politiques, philosophiques, l'Occitanie, la conquête de la liberté, l'indépendance et la résistance à la centralité, au bizness de la musique ne sont jamais lourds. Ce sont des gens qui ne trichent pas avec leur public (à la base duquel se trouve la Chourmo), ni avec eux-mêmes, et tout le mérite de Philibert est de n'utiliser aucun artifice de narration, de se rendre tout à fait invisible, bornant ses interventions à des panneaux sobres qui annoncent le titre de quelques séquences. Sa caméra qu'il a su faire accepter à tous nous plonge au cœur de la matrice artistique du groupe et nous permet en même temps de la voir dans son ensemble avec le recul que les membres du groupe portent eux-mêmes et de façon amusée sur leur travail. On ne peut s'empêcher parfois de songer aux deux films de Jean-Luc Godard, One + One, avec les Rolling-Stones et Soigne ta droite avec les Rita Mitsouko, au point que ce n'est presque pas un hasard si on assiste au cours d'un magnifique concert aux Docks des Sud à Marseille à l'arrivée imprévue de Catherine Ringer sur scène, un des moments les plus drôles du film, il y en a beaucoup comme toujours dans les films de Philibert. Et puis enfin il y a Marseille, inévitable parce que c'est là que tout est né, dans le quartier populaire de la Plaine, une ville sans laquelle le groupe n'aurait jamais pu choper et cultiver sa singularité, sa fibre contestataire, sa furieuse dérision. Marseille qui semble leur avoir initié à ne jamais se prendre pour d'autres, à rester humbles et accessibles, Marseille où ils ont importé et recrée l'esprit du Reggae. La ville-monde qui possède en commun avec la Jamaïque le soleil, la mer et le vent, qui constituent le sel de la poésie, Marseille où ils forgent une oeuvre universelle, une ode au rire, au rythme et au partage. Viva les Massilia.

jeudi 13 octobre 2016

Putain qué bon, NAVEGA, le nouveau MOUSSU-T E LEI JOVENTS


Le nouvel album de Moussu-T et Lei Jovents est apparu dans les bacs il y a peu, les lignes qui suivent sont une invitation à se le procurer. On a toujours plaisir à se connecter à la musique folk-country-blues-rock-world-fusion (comment la qualifier exactement ?) du band de La Ciotat. Navega !, c'est son titre, présente une séquence de la vie du groupe où la douce nostalgie et la lucidité frôlent le désenchantement, sans y céder non plus, pas question de renoncer à la révolte (Qu'es bon), mais où le constat semble l'emporter sur le combat (Vaici Marselha, regard sans complaisance sur l'aménagement urbain marseillais, et aussi le touchant Aquo mi fa mau), l'énergie est canalisée vers l'intériorité. C'est un album plus intime et moins festif où la fantaisie et l'humour n'ont pas été invités, mais il vous caresse les oreilles de la même façon que les meilleurs morceaux du folk américain, un album pour entrer lentement dans les belles couleurs de l'automne provençal. De là à dire qu'il y aurait quelque chose de "fatigué" qui traverse les tracks il y a une frontière que nous ne franchirons pas. La force se fait sentir dans le bastingage musical du navire qui profite provisoirement du calme au mitan de la mar, une force prête à tous les combats, mais sensiblement contenue. Si le ton impératif du titre ordonne de prendre la mer, il s'adresse à ceux qui écoutent, à condition qu'ils enregistrent son double sens sous-marin. Moussu-T apparaît plutôt entre deux révoltes avec l'envie de rester calme au Port-Vieux, en contemplation entre "le vide et l'acier" des grues de La Ciotat. Je livre ici une impression d'ensemble très subjective qui pourrait facilement se voir prise en défaut mais n'hésitons pas à répéter, l'ensemble est loin d'être dépourvu d'énergie et n'engage pas aux ambiances feutrées des longues soirées d'hiver près de la cheminée. Il y a un ton serein et juste, parfaitement maîtrisé, harmonieux. On n'y trouve pas forcément un futur "tube", mais tous les titres en portent le potentiel, cela ne pose aucun problème, car c'est un album homogène, cohérent, abouti en quelque sorte, à l'image de ces marins parfaitement équilibrés entre deux désirs, celui d'une relation douce et apaisante telle qu'elle ressort dans Cosmopolida, magnifique hommage à la femme d'une vie, et le fantasme (cela pourrait être Louise B, ou qui que ce soit, peu importe) d'une relation ardente, intense et passionnée tel qu'il s'exprime avec Tretze nuechs ambé misé, un album semblable à ces marins ayant beaucoup navigué qui imposent leur calme aux terrasses de bistrots des ports du monde entier, prêts à tout moment à reprendre le large. Il est chargé d'une belle poésie, porteuse à elle seule de tous les désirs de voyage. Et comme la forme rejoint le fond, il faut souligner la qualité remarquable du livret qui accompagne le CD avec les tableaux de Blu Attard, le guitariste du groupe qui révèle ici des qualités graphiques originales au moins aussi importantes que ses qualités de musicien et compositeur. Un album précieux, une belle œuvre des attachants chanteurs navals de La Ciotat. D'ailleurs je vais m'empresser de tweeter : oh je viens d'acheter le nouveau Moussu-T, il est putain qué bon !