mardi 22 novembre 2016

LES BOUCHES D'OR, Henri-Frédéric BLANC


À première vue Les Bouches d'Or est un livre drôle destiné à fonder un spectacle de comédie. Les personnages et les situations ciselées par Henri-Frédéric Blanc y suscitent toutes un rire sans réserve, franc et régénérant. On rit à sa lecture comme on rira assurément les 9, 10, 11 décembre à l'Odéon pour Marseillons 2, la représentation pour laquelle il a été écrit. Comme toute grande œuvre, on peut le lire avant sans craindre de déflorer la cocasserie de chaque pièce, on le lira aussi après pour conserver longtemps encore la trace du bonheur que déposeront les acteurs dans l'esprit de ceux qui auront eu la bonne idée de prendre leur billet. Mais sous le comique qui recouvre pudiquement le tout, un comique réel, certes, il ne s'agit pas d'une simple couche de vernis, ceux qui connaissent l'univers singulier de l'auteur marseillais savent qu'il y a quelque chose de plus touchant, pathétique. Celui qui ne verrait que le rire se tromperait lourdement. Toute la force des livres d'Henri-Frédéric Blanc réside dans cette forte ambiguïté, cet équilibre parfait entre la comédie et la tragédie qui caractérise aussi Marseille, ville incroyablement difficile à cerner dans sa vérité profonde. Sans aller jusqu'à dire que les personnages qui apparaissent et disparaissent dans Les Bouches d'Or montrent en creux un portrait de l'une des grandes villes de France les plus pauvres, ils en expriment l'essence de manière subtile, sa force et sa légèreté, son dédain, son panache, sa folie, son irrévérence. C'est donc avec jubilation, une fois encore, que les lecteurs feront connaissance avec ce petit monde qui fait entendre sa différence à la Terre entière, axe fort du travail d'Henri-Frédéric Blanc qui compose à partir des gens d'ici un discours à portée universelle. Ces personnages ont beau sortir de son imagination, chacun aura l'impression de reconnaître quelqu'un, le génie de Blanc est de faire apparaitre une douce et poétique lumière chez les obscurs, les sans-grade, le petit peuple de la rue qu'il observe et écoute toute la journée en se promenant, que dis-je, en se fondant dans les rues de la ville, sans rien leur enlever du dérisoire grandiose qu'ils semblent cultiver par défi. Ce livre donne l'impression d'être fait avec très peu de choses. La littérature de Blanc est sans effet ni artifice, une littérature marseillaise avec finalement très peu de ces mots que d'autres multiplient parfois pour insister lourdement sur l'aspect exotique du parler marseillais, comme s'il suffisait de les employer pour signaler une véritable particularité, le père de Frédo le Fada sait la plupart du temps s'affranchir de cette facilité. A côté des ouvrages déjà publiés aux éditions Le Fioupélan, Les mémoires d'un singe savant, Le livre de Jobi, Ainsi parlait Frédo le Fada et Cagole blues, ce nouveau livre de l'auteur marseillais apparaît comme un bijou supplémentaire qui s'ajoute dans le mouvement Overlittérature à une œuvre qui n'a pas d'équivalent en France. Il faut saluer avec affection la volonté de Cyril Lecomte, comédien, créateur du spectacle Marseillons pour lequel il fédère avec beaucoup d'énergie positive les talents originaires de la ville comme lui, de faire mieux connaître aux marseillais cette œuvre originale qui leur redonne le goût et la joie de leur propre sens de la farce. Car c'est un fait, merci à Henri-Frédéric Blanc de sauver la farce.

Les Bouches d'Or, Henri-Frédéric Blanc, Marseillons United éditions. 12€
Spectacle Marseillons 2, les 9,10, 11 décembre 2016 à l'Odéon (Canebière). Achat sur digitick.