lundi 5 novembre 2012

MAÎTRES DES SABLES ET DU VENT...

Frédéric Rey



Je pense parfois à Frédéric Rey.

Je ne l'ai pourtant rencontré que deux fois, mais il fait partie de ces gens qui vous marquent par la qualité du regard qu'ils posent sur vous, leur faculté naturelle pour se placer à votre portée, saisir très vite les qualités et les défauts qui vous constituent et qui, sans y toucher, vous transmettent quelque chose qui ne s'efface pas.

C'était un romancier qui avait l'art d'animer ses personnages, manifestant par le détail chaque mouvement de leur âme, insufflant à leurs actions les milliers d'informations que ses yeux vifs, espiègles, acerbes, enregistraient dans la vie. Ses personnages lui ressemblaient, lui qui se montrait tout à la fois direct et pudique, piquant et amusé, ils traversaient les récits quelle que soit l'époque ou les lieux dans lesquels il les implantait, sans rien sacrifier de leur précieuse liberté d'esprit. Celle que leur prêtait leur auteur.

Je crois aussi qu'il fût un des écrivains qui parla le mieux du corps des hommes, de l'amitié virile poussé jusqu'au désir, mais avec une fine distance, une délicate façon d'évoquer les choses sans les dire. Ce trait éclate dans le dernier roman qu'il publia : L'homme Michel-Ange.

Frédéric Rey est mort peu de temps après la sortie de ce livre dans lequel il est manifeste qu'il s'était absorbé tout entier, habitant le génial créateur du David de l'intérieur, dans le projet fou de partager ses visions, son art, son âme qui sublimait chacune de ses oeuvres. Je ne suis pas loin de penser que l'écrivain est allé au bout de ses forces vitales pour ce livre monumental que je n'ai pas relu.

Sa mort, assez subite, m'avait tellement surpris, je venais de recevoir et de dévorer L'homme Michel-Ange que j'avais appelé Bernard de Fallois, l'éditeur qu'il avait rejoint après avoir publié tous ses livres chez Flammarion, lequel était lui-même encore très retourné par ce décès, d'autant plus que Bernard Pivot sous le charme lui aussi du Michel-Ange, venait d'inviter Frédéric Rey dans Apostrophes, la plus célèbre et la meilleure émission de littérature qu'ait jamais produit la télévision. Ainsi par ce décès prématuré, l'auteur qui ne vivait jusqu'à ce moment que d'un succès d'estime, passa tout à-côté d'une forte notoriété que n'aurait pas manqué de lui apporter cette émission.

J'ai recherché l'autre jour sur internet ce qui se trouvait sur Frédéric Rey. En dehors des livres qui restent à la vente, j'ai trouvé une fiche de lecture concernant La haute saison, un roman dont l'action se situe en Ardèche, pays dont il était originaire et auquel il devait sans doute sa pudeur et une forme de révolte contre l'ordre des choses, la photo en-tête de cette page, et c'est tout. Il n'y a rien sur lui qui est parti trop tôt, aux alentours de l'année 90.

Je n'ai certainement pas la prétention de rattraper cette injustice par ce billet mais il me plait de penser que si quelqu'un lançait une recherche suite à la lecture d'un de ses romans, il trouverait ces quelques mots de mon souvenir. J'ai aussi une pensée pour une vieille dame sans doute partie elle aussi désormais, Mme Bataillard, qui fût proviseur d'un grand lycée parisien, aux yeux toujours brûlants d'enthousiasme et de malice, qui avait insisté pour me faire rencontrer cet écrivain, lui-même professeur de français, et dont je me demande si elle n'était pas un peu amoureuse.

Fragilité, absurdité de nos existences. Je terminerai cette évocation par les dernières lignes de son avant-dernier roman, l'histoire d'un jeune pacha dans un ksar au milieu du désert, une méditation sur le pouvoir :
"... n'étais-je pas en train d'entretenir de nouvelles illusions ? Le pouvoir est-il davantage qu'une apparence et peut-on quelque chose pour ceux qui nous importent ? Qui nous appartient et qui nous sera reconnaissant jamais ? J'avais la puissance, j'avais la jeunesse. Mais, en définitive, je possédais ce qu'aucune main n'a jamais pu retenir. Je n'étais que le maître des sables et du vent."
Fréderic Rey Le maître des sables et du vent

Nous sommes tous les maîtres des sables et du vent...




8 commentaires:

  1. Un post touchant, jeté dont on ne sait où vers on ne sait qui. Reçu. Frédéric est en effet parti trop tôt.

    RépondreSupprimer
  2. C'est en tant que libraire que je l'avais reçu et fait sa connaissance. Les bibliothèques sont de vivants cimetières, ses livres sont dans la mienne, d'où ce souvenir et l'envie de le partager. Ravi qu'il ait déjà touché un destinataire.

    RépondreSupprimer
  3. J'ai lu presque tous les romans de Frédéric REY excepté "L'énargue et le voyou" ainsi que "Pleins Feux sur Raphaël" ça a été à chaque fois pour moi un moment unique. J'ai l"énarque et le voyou" que je lirai plus tard.
    Quelle n'a pas été ma tristesse lorsque j'ai appris sur Amazon d'une certaine dame dont je tairai le nom qu'il était décédé depuis plus de vingt ans et inhumé en Ardèche sa terre de "La Haute saison". Avant cette mauvaise nouvelle, Je pensais comme vous que cet écrivain n'avait pas eu la reconnaissance qu'il méritait mais que cela viendrait un jour. C'est sans doute pourquoi je suis pratiquement le seul à avoir commenté ses romans sur Amazon je lui reconnais une certaine parenté d'écriture avec Patrick DREVET. Je suis très sensible à l'hommage que vous lui rendez ci-dessus mais j'aimerais tant que cet écrivain reçoive même à titre posthume un prix qui le fasse sortir de la confidentialité dans laquelle il se trouve aujourd'hui.

    RépondreSupprimer
  4. Au hasard des lectures en piochant un livre dans une bibliothèque je viens de découvrir frédéric rey à travers son roman "la compagnie des dames" j'ai tout de suite été séduite par son phrasé et cette façon de s'immerger dans ses personnages, oui de la poésie, de la pudeur mais aussi de la rudesse, un sens aigu de l'autre. Evidemment j'ai fait après lecture une recherche sur l'auteur et appris qu'il était malheureusement décédé, je vais rechercher dans les bibliothèques ses autres ouvrages que j'ai hâte de lire.

    RépondreSupprimer
  5. Plaisir de constater que je n'ai pas fait ce billet en vain. Les livres, comme l'eau, finissent toujours par trouver un chemin, par-delà la mort de leur auteur dont ils maintiennent ainsi, toujours vibrante, la quzlité de leur vibration.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Frederic Réy est peu connu, voire oublié ,comment se fait-il qu'aucune biographie de lui n'existe, sauf erreur ? IL est né à Mayres, je crois, en quelle année. Quelles ont été ses études et le ou les lycées où il a enseigné. Est-il décédé à Paris ou en Ardèche ? Je lui avais écrit à deux reprises et il m'avait gentiment répondu. C'était un grand auteur.

      Supprimer
  6. Vous avez parfaitement bien parlé de Fréderic Rey qui fut mon professeur de français il y a 56 ans, il comprenait parfaitement ses élèves, il m'a donné confiance en moi, moi qui était timide et dont le niveau social était inférieur à la grande majorité de la classe. C'est en partie grâce à lui que j'ai suivi des études BAC +8 et que j'ai exercé une profession libérale. Avec mes amis nous parlons de lui car il a laissé son empreinte chez tous ses élèves de l'époque. Peu avant sa mort j'avais pu le contacter pour lui exprimer ma reconnaissance

    RépondreSupprimer
  7. Immense plaisir de découvrir votre blog...
    J'ai lu "L'homme Michel Ange" en 1997 lors d'un voyage en Toscane. Je l'ai gardé précieusement dans ma bibliothèque car il m'a beaucoup touchée. En recherchant d'autres titres de cet auteur, je suis très affectée de découvrir tout à la fois qu'il est décédé, que c'était son dernier livre et qu'effectivement il y a très peu de choses sur internet le concernant. Quelle déception ! Merci à vous de lui avoir rendu hommage et merci à Anonyme (2 aout 2013) pour les commentaires sur Amazon ! Le moment passé sur votre blog à vous lire a allégé ma peine...

    RépondreSupprimer