samedi 20 octobre 2012

LA LUTTE, LA FUITE, ET LE MOMENT PRÉSENT...

(c) Thierry B Audibert
(Cliquer sur la photo pour l'agrandir)



Ce sont spontanément les idées de fuite et de bonheur qui s'insinuent dans mon esprit quand je médite sur cette photo.

Nos vies tiennent en équilibre subtil entre rêve et réalité, désir et contrainte, volonté et résignation.
Il est difficile d'arbitrer au plus profond de nous sur le chemin à prendre dans notre navigation intérieure, celle qui assure la meilleure synthèse de nos envies antagonistes, nos fausses nécessités, nos véritables aspirations.
Ce chemin, pour certains, est déjà une forme de destination.
Il pourrait s'appeler le bonheur.

Mais de quoi le bonheur serait-il l'aboutissement ?
De la fuite ou de l'affrontement ?
Faut-il passer par l'un et l'autre pour réaliser leur inutilité, et aboutir à la seule condition du bonheur, l'acceptation entière et totale qu'offre l'instant présent, dans le refuge au sein de notre propre source, là où se transforment les perceptions négatives ou positives ?
Encore faut-il au moins trouver le calme... après l'affrontement ou la fuite.

Longtemps, nous ne faisons que toucher ce bonheur, par séquences courtes que nous tentons de multiplier et d'accroitre, mais ce sont les déceptions qui se présentent au rendez-vous avec un sourire narquois.
Puis le temps vient patiner les attentes, il réoriente le regard, éclaircit la réalité au point de nous y faire apparaitre ce que l'on ne savait pas y voir, une plénitude nous gagne, juste le temps de se laisser apprécier, puis l'obscurité revient, comme la nuit succède à une belle journée.

Il faut recommencer...

Pour s'ouvrir la porte du bonheur il n'y a pas une clé pour tous. Mais une pour chacun.
Il se trouve autant d'humains que de serrures.
Bien menteur, ou chevalier de l'illusion, qui peut prétendre ouvrir à l'autre la porte de son accomplissement. Les maitres bouddhistes eux-mêmes ont la sagesse d'enjoindre celui qui cherche, à expérimenter leur enseignement, et juger seul de ce qui est bon pour lui.

Je ne peux que m'interroger avec humilité sans tomber dans l'exercice pontifiant d'asséner une vérité qui m'échappe aussi quand je crois la saisir, je me contenterais de citer deux auteurs auxquels je pense forcément quand je regarde cette photo. L'un était neurobiologiste, Henri Laborit, qui prend ici une métaphore maritime s'accordant bien avec la photo de ce billet, l'autre est philosophe, Clément Rosset, explique comment nous pouvons, non pas modifier la réalité, mais la faire glisser pour ne pas avoir à la supporter, car comme le fait dire Jean-Luc Godard à Fritz Lang qui joue son propre rôle dans Le Mépris : "Il faut supporter".


"Quand il ne peut plus lutter contre le vent et la mer pour poursuivre sa route, il y a deux allures que peut encore prendre un voilier : la cape (le foc bordé à contre et la barre dessous) le soumet à la dérive du vent et de la mer, et la fuite devant la tempête en épaulant la lame sur l'arrière avec un minimum de toile.
La fuite reste souvent, loin des côtes, la seule façon de sauver le bateau et son équipage. Elle permet aussi de découvrir des rivages inconnus qui surgiront à l'horizon des calmes retrouvés. Rivages inconnus qui ignoreront la chance apparente de suivre la route des cargos et des tankers, la route sans imprévu imposée par les compagnies maritimes."
Henri Laborit Éloge de la fuite.

"Rien de plus fragile que la faculté humaine d'admettre la réalité, d'accepter sans réserves l'impérieuse prérogative du réel. Cette faculté se trouve si souvent prise en défaut qu'il semble raisonnable d'imaginer qu'elle n'implique pas la reconnaissance d'un droit imprescriptible - celui du réel à être perçu - mais figure plutôt une sorte de tolérance, conditionnelle et provisoire. Le réel n'est généralement admis que sous certaines conditions et seulement jusqu'à un certain point : s'il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Un arrêt de perception met alors la conscience à l'abri de tout spectacle indésirable. Quant au réel, s'il insiste et tient absolument à être perçu, il pourra toujours aller se faire voir  ailleurs. Car dans l'illusion, la forme la plus courante de mise à l'écart du réel, il n'y a pas à signaler de refus de perception à proprement parler. La chose n'est pas niée : seulement déplacée, mise ailleurs."
Clément Rosset Le rél et son double.

Pour terminer, j'avais déjà publié cette photo sur un autre site, et je l'avais accompagnée du texte ci-dessous, duquel je ne retire pas un mot deux ans plus tard.

"Je prête beaucoup de mystères à l'acte de photographier.
Certains peuvent le concevoir comme une chose très simple qui consiste à isoler un morceau de réalité pour le fixer de manière définitive.
Je crois que j'aime les photos quand elles illustrent que leur auteur a trouvé une sorte de trou dans la réalité, quelque chose qui permet de voir à travers les apparences, et permet de leur échapper.
Il me semble que ce sont ces trous que je cherche, pour aller voir derrière les choses, dans leur vérité profonde.
Il est vrai que la plupart du temps, saisi par la paresse, je me contente d'enregistrer quelque chose qui m'interpelle en espérant que le hasard saura donner à la photo la vibration spéciale que j'en attends qui transforme la réalité.
Photographier est un excellent moyen de s'enfuir et de fixer le moment où on y parvient."



5 commentaires:

  1. La porte est là et il n'y a pas de serrure , pas besoin de clé ; c'est juste que l'on passe devant mais que l'on est trop occupé pour la pousser.

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  2. C'est une autre façon, en effet, de dire cette étonnante résistance de l'homme face à l'évidence. Salut Alain.

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  3. Tout est résumé dans le mot dans ton titre : la fuite.
    Le paradigme moderne c'est la culture de l'apparence et de ne surtout pas résister à ses désirs matériels. Cela emporte tout espoir de percevoir les besoins intérieurs et donc toute chance de les voir assouvir.
    Trés belle photo Thierry, un jour j'ai croisé un Argentin qui était un peu plus lumineux que la moyenne et qui m'avait dit "un jour tu trouveras le trou dans le miroir"; je sais aujourd'hui de quoi il voulait parler et aussi qu'il avait raison. Cette photo m'a rappelé cet événement.
    Je crois que c’était dans le film Full Metal Jacket ou il y a un beau dialogue sur la capacité des hommes qui ont vécu de grandes épreuves à développer ce qu'ils appellent "l'horizon dans le regard" ; c'est vrai que notre société actuelle serait plutôt du genre du "regard vide"; mais peut être n'est il pas besoin de terribles épreuves pour le développer.
    En tous cas j'y travaille ;)

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  4. "Le trou dans le miroir" et "l'horizon dans le regard" sont deux images et expressions que j'ignorais et qui sont très parlantes, j'adore. Merci de ta participation Alain, remarque, avec un prénom pareil, tu ne pouvais que tenir à ton tour des "propos sur le bonheur".

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  5. lol, rien à voir avec le prénom Thierry ! Disons que j'ai fait dans ma vie quelques trucs un peu hors de l'ordinaire (dans le sens ou il n’était pas prévu dans mon quotidien que je le fasse) et il m'a été donné dans ces circonstances de rencontrer des gens qui ont fini par modifier grandement mon existence. Comme tu le disais si bien, l'instant présent dans la fuite ne mène à rien par contre un minimum de prise de risque déclenche de manière assez immédiate une ouverture dans le destin qui amène en général à des résultats assez intéressants. Donc d’après moi, nous avons un pouvoir sur notre destin.
    Va vraiment falloir que l'on se recroise un jour Thierry ;)

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